Entrevue avec le Projet Bocal
9 novembre 2022Entrevue avec Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande du Projet Bocal, redoutable trio uni dans l’amitié et l'inventivité.
Propos recueillis par Isabelle Desaulniers.
Lorsque trois talentueux·ses diplômé·e·s du Conservatoire d’art dramatique de Montréal demeurent complices dans la création de spectacles aussi fantaisistes que libérateurs, on ne peut que se réjouir! Depuis la fondation, dès leur sortie de l’école en 2011, de la compagnie Le Projet Bocal, les trois cofondateur·trice·s Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande ont créé plusieurs œuvres collectives, notamment la trilogie Le Projet Bocal (2013), Oh Lord (2014) et Le spectacle (2016). Désormais comédien·ne·s bien connu·e·s du public, artistes en résidence chez Duceppe de 2019 à 2021, iels présentent cette saison leur nouvelle et attendue création Showtime – Une grosse pièce de théâtre, signant à trois les textes et la mise en scène, en plus d’y jouer. Entretien avec ce redoutable trio uni dans l’amitié et l'inventivité.
Comment s’est passé le processus de création à trois têtes de Showtime ?
Sonia Cordeau C’est notre dernier show [rires]!
Simon Lacroix Au départ, l’écriture a été plus ardue que pour nos autres spectacles. Jusque-là, on créait plutôt des pièces en divers tableaux et pour de plus petites salles. Ici, c’était complètement autre chose, on était ailleurs. Quand Jean-Simon et David nous ont offert d’être artistes en résidence chez Duceppe, pour nous ça voulait dire «faire un gros show dans une grosse salle». Aussi, ils nous avaient demandé d’écrire une histoire. Nous sommes reparti·e·s avec ça et avons écrit pendant une année plein d’affaires… pas bonnes.
Raphaëlle Lalande On ne savait pas par quel bout prendre ça.
«L’une de nos inquiétudes était d’éviter à tout prix de nous dénaturer en arrivant sur un grand plateau comme celui-ci.»
Simon Et est venu le moment où, après un an d’écriture infructueuse, nous avons dit aux deux directeurs artistiques que malheureusement, ça ne marcherait pas, que c’était difficile pour nous de raconter une histoire… Tout de suite, ils nous ont lancé «Pas de problème, ne racontez pas d’histoire! Faites ce que vous voulez!» Après ça, l’écriture a sérieusement débloqué.
«On s’entend tellement bien tous les trois, c’est fou! On est comme trois têtes, mais un seul cerveau.»
Bref, nous sommes parti·e·s de cette prémisse vécue de «Projet Bocal qui tente de faire un spectacle à grand déploiement», puis on s’est lâché·e·s lousses dans l’écriture !
Vous vous payez la traite chez Duceppe également au niveau de la mise en scène et des moyens techniques, n’est-ce pas ?
Sonia Oui et on ne s’est jamais censuré·e·s. On a flyé jusqu’au bout! Après, avec l’équipe de Duceppe, on a regardé ce qui était possible ou non. Et beaucoup de choses l’étaient!
Simon Honnêtement, c’est comme un rêve. L’équipe de Duceppe est juste incroyable. Tout le monde était partant, même si nous proposions des idées un peu grosses, quand même! Bien sûr, plus on avançait, plus on a dû faire quelques petits deuils… Ç’a l’air qu’un drone sur une scène, c’est compliqué [rires].
Sonia Mais, il y a toujours eu de nouvelles options intéressantes qui nous ont été suggérées. Nous sommes vraiment content·e·s !
Raphaëlle Les concepteur·trice·s aussi ont embarqué dans ce gros show très chargé techniquement, que ce soit au niveau des décors, des costumes ou des éclairages. Il n’y a pas seulement trois, quatre cues dans le spectacle!
Showtime, est-ce un hommage à la richesse de la tradition dramatique ou une critique de la propension du milieu à se cantonner dans divers codes reconnus ?
Ensemble: C’est les deux!
Simon On jongle avec les deux.
«Autant nous avions envie d’écorcher un peu différents styles de théâtre et nous moquer gentiment de certains clichés, autant, avec le 50e anniversaire de Duceppe, nous trouvions amusant le fait de revisiter et de célébrer divers styles dramaturgiques.»
Sonia Showtime, c’est une ode à la créativité. Mais, ici, nos personnages ont une espèce de trop-plein d’idées!
Simon Oui, contrairement aux créateur·trice·s devant une page blanche, ces trois-là sont pris avec beaucoup, beaucoup trop de propositions!
Lors de vos toutes premières créations, vos demandes de subventions étaient refusées, car on jugeait que ce que vous présentiez était davantage du divertissement que de l’art. Vous avez réagi comment ?
Simon On a d’abord été dérouté·e·s. Mais on est allé·e·s de l’avant. On a fait salle comble pendant six semaines à La petite Licorne et on a même levé des supplémentaires…
Sonia Par ailleurs, on trouvait que c’était discutable de séparer l’art et le divertissement.
L’art peut-il divertir et le divertissement faire réfléchir ?
Ensemble: Oui!
Simon On nous a parfois reproché de faire des trucs légers. On dirait que les gens de théâtre, certains en tout cas, vont voir une pièce pour réfléchir ou pour être confrontés, écorchés, ébranlés…
Raphaëlle… ou pour recevoir un message. On se fait souvent demander en entrevue: qu’est-ce que vous voulez dire, c’est quoi votre message ?
Sonia Oui, pour certains et pour certaines il faudrait que le thème soit super clair avant d’entrer dans la salle. Nos spectacles ressemblent plus à une «expérience »…
Simon En fait, notre message est peut-être davantage dans la forme éclatée du spectacle. Dans le vent de liberté que l’on espère souffler vers la salle.
Sonia Simon, tu as déjà dit «on revendique notre droit d’être capoté·e·s» ! Ça résume bien Projet Bocal. On espère que les spectateurs et les spectatrices se sentiront un peu plus léger·ère·s après la représentation.
«Que le public croira un peu plus en la beauté de la folie et repartira avec une étincelle dans le fond de l’œil.»
Que souhaitez-vous transmettre aux plus jeunes qui verront votre spectacle dans un cadre scolaire et qui découvriront peut-être le théâtre à travers Showtime ?
Raphaëlle Il y a une liberté que l’on se donne sur scène qui peut être surprenante et intéressante à voir, je crois.
Simon Ces jeunes découvriront que ça peut être aussi ça, le théâtre.
Sonia Ces jeunes se diront peut-être «OK, ça aussi c’est possible! Ben voyons donc!». Si Showtime peut leur donner un petit pourcentage de plus de liberté dans leur vie en général, c’est gagné.
péC’est la première fois que vous dirigez, comme metteur·euse·s en scène, autant d’interprètes. Comment ça s’est passé à trois?
Sonia Vraiment bien! C’était très organique. Là encore, on était comme une seule entité à trois têtes…
Simon Et même quand nous ne sommes pas d’accord! C’est ça qui est beau, je trouve… On en parle un peu dans la pièce, et c’est vrai, il y a une affaire de démocratie chez Projet Bocal. Quand il y a deux personnes contre une, celle-ci abandonne simplement l’idée, sans ressentiment.
Raphaëlle Aussi, on est allé·e·s chercher des acteur·trice·s, des danseur·euse·s, des créateur·trice·s qui allaient être compatibles avec notre univers. Tout le monde comprend le ton, le rythme que nous voulons et vers où on s’en va. Iels sont tous et toutes vraiment game. Je n’ai jamais senti, une seule fois, de résistance ou de doute. Tout le monde est généreux et propose des idées. Nous sommes très fier·ère·s de cette distribution!