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Duceppe
Entrevue

Comment être plus inclusif·ve? Entretien sur l’accessibilité avec la chercheure Eveline Payette-Dalpé

28 mars 2024

Alors que les initiatives d’accessibilité dans les établissements culturels se multiplient, trop souvent, le public concerné n’est pas ou peu consulté. Or comment peut-on améliorer l’accessibilité aux salles de spectacle sans inclure les principaux·ales intéressé·es? À l’automne 2022, Duceppe a donc mis sur pied sur pied, dans le cadre d'un projet de recherche doctoral en partenariat avec l'UQÀM, un comité de spectateur·ices en diversité capacitaire, tous handicaps confondus, pour réfléchir à la question. Retour sur une année d'expérimentation sur le terrain riche en enseignements avec la chercheure à l’origine du projet de recherche, Eveline Payette-Dalpé.

Propos recueillis par Isabelle Desaulniers

Pouvez-vous nous raconter la genèse du comité d’évaluation de l’accessibilité chez Duceppe?

Au fil de mon expérience professionnelle comme médiatrice culturelle et de mes diverses recherches, j’ai constaté qu’il y avait de plus en plus d’initiatives d’accessibilité dans les établissements culturels, mais que les publics auxquels elles étaient destinées n’étaient pas consultés ou l’étaient de façon très sporadique. J’ai donc voulu former un comité de spectateurs et de spectatrices en diversité capacitaire, tous handicaps confondus, pour une pluralité des expériences. Au début du processus, je m’attendais à trouver cinq ou six participant·es, mais, à la suite d’un appel à candidatures de Duceppe, j’ai dû en refuser parce qu’il y en avait trop! Le comité est finalement composé d’une quinzaine de personnes qui aiment profondément les arts.

Il y a des spectateur·ices voraces — qui sortent plus que moi! —, mais d’autres qui ne sortent plus du tout parce qu’ils et elles trouvent que c’était trop fatiguant, trop compliqué.

Aussi, je souhaitais qu’un des membres de la direction de Duceppe fasse partie du comité et vive les expériences avec nous pour qu’il y ait des échanges. Ainsi, le codirecteur artistique, Jean-Simon Traversy était du comité. Ensemble, nous avons assisté à divers spectacles, avec une réunion en amont de chacun pour préparer la visite en salle, et une après, pour faire une rétroaction. Ça s’est passé sur une année et ce fut vraiment extraordinaire.

Comment le comité a-t-il vécu son expérience chez Duceppe? Y a-t-il eu des moments inattendus?

Comme chercheure, quand je fais une expérience de terrain, par ma certification éthique, je suis tenue de mettre en place des balises pour que les participant·es soient confortables. C’est ce que nous avons fait avec la Place des Arts et Duceppe pour assurer le bien-être du comité, comme l’accès à une salle de repos ou encore la participation de bénévoles pour les aider. Ce qui m’a surprise, c’est que plusieurs ont décidé de faire les premières visites sans aide, sans l’utilisation des ascenseurs ni de la salle de repos, par exemple. Ils et elles voulaient pousser loin leur autonomie pour vivre la «vraie» expérience et pour que cela serve à d’autres. Ça m’a touchée que ces personnes se mettent dans des situations très inconfortables pour faire avancer le projet.

Aussi, j’ai été surprise de constater que, dans la notion d’accessibilité, beaucoup de choses relèvent de la sensibilisation du public général.

Lors de cette recherche, il est arrivé trois cas de micro-agressions en salle, alors qu’on avait tout balisé, tout bien préparé. Ce que ça m’a appris, c’est qu’il y a tout le temps un angle mort. Et cela a souvent rapport avec la bienveillance du public en général. Je ne dis pas qu’il est malveillant, mais certaines personnes s’attendent à avoir des conditions optimales, comme à la maison en écoutant Netflix! Et, s’il y a quelqu’un qui se sert d’un outil d’accessibilité qui dérange un peu, elles s’en plaignent. Ça révèle qu’il faut sensibiliser les auditoires au fait qu’il y a divers publics dans la salle qui ne reçoivent pas le spectacle de la même façon et que certains ont besoin d’outils d’accessibilité. Une fois que l’on sait que notre voisin est quelqu’un de malentendant qui lit le texte de la pièce (en lettres blanches sur fond noir, pour déranger le moins possible !), on voit ça différemment. Donc, avec Jean-Simon, on a tout de suite ajusté le mot de bienvenue avant les représentations où l'on demande d’éteindre ses appareils, en mentionnant que certaines personnes utilisaient des outils d’accessibilité. Et le problème ne s’est pas représenté!

Sensibiliser le public, l’informer, c’est essentiel.

Une autre surprise, c’est que souvent, ce n’est pas si compliqué, l’accessibilité. C’est beaucoup de gestes simples, même s’il y en a qui demandent plus d’investissement. Et ce n’est pas quelque chose qu’on fait du jour au lendemain. C’est un processus.

Quelles sont les plus importantes conclusions et recommandations faites à Duceppe à la suite de votre collaboration?

D’abord que l’accessibilité n’est pas une thématique. C’est le développement d’une relation entre des communautés, des spectateur·iceset un établissement culturel. Et qui dit développement d’une relation, dit processus à long terme. Parce qu’il est préférable de commencer par de petites initiatives, vraiment en lien avec les besoins réels des communautés, et construire là-dessus. C’est une relation où la confiance doit se bâtir des deux côtés, pour que les solutions soient pérennes.

Deuxième chose: c’est beaucoup plus simple qu’on peut le penser. En fait, ce que les personnes en diversité capacitaire recherchent beaucoup, c’est le sentiment d’accueil.

Ce n’est donc pas d’avoir tous les outils d’accessibilité possibles et disponibles —même si c’est merveilleux—, mais de sentir que l’autre partie est ouverte aux demandes, ouverte à ce dialogue. Parfois, ça veut dire simplement d’avoir un plan de salle et de l’information disponible.

Et, enfin, c’est qu’il y a beaucoup de sensibilisation à faire au niveau des handicaps invisibles. Quand on pense accessibilité, c’est souvent celle pour les gens en fauteuil roulant, car c’est une évidence. Or, 50% de ceux et celles qui vivent avec un handicap ont fréquemment de multiples incapacités et plusieurs sont invisibles. Autre exemple: les limitations fonctionnelles qui se développent chez les publics vieillissants. Elles ne sont pas toujours perceptibles. Plein de gens âgés fréquentent assidûment le milieu des arts de la scène, mais, à un moment donné, ils et elles s’abstiennent, comme certain·es de mes participant·es, parce que c’est juste trop demandant. Il y a des maladies chroniques aussi, ou encore des inaccessibilités temporaires. Bref, on ne soupçonne pas toujours à qui les initiatives, souvent simples, peuvent servir. Il faut donc penser l’accessibilité de manière plus globale parce qu’il y a des moyens qu’on met en place qui peuvent aider de nombreuses personnes.

On a tendance à standardiser la façon d’accueillir les spectacles. Les réalités, les vécus sont différents et la pièce ne se reçoit pas de la même façon pour chacun·ee. Et c’est correct!

Afin d’ancrer l’équité, la diversité, l’inclusion et l’accessibilité (EDIA) dans l’ensemble de ses pratiques, Duceppe adoptait le 6 novembre 2023 une politique en ce sens. Un processus de veille a aussi été entamé pour s’assurer d’atteindre les objectifs fixés.

Photo: Julie Beauchemin