Une langue qui raconte les rêves, par Joséphine Bacon
8 mars 2023Qu’est-ce qu’écrire? Pour Joséphine Bacon, écrire est «une transmission d’émotions, un partage de traditions.» Ses textes sont publiés chez Mémoire d’encrier, qui publie également ceux de Naomi Fontaine, dont le roman Manikanetish a été adapté pour notre scène. Dans ce billet à la fois politique et poétique, la grande poétesse innue évoque la beauté de l’innu-aitun, «une langue qui raconte les rêves» et dont le plus beau mot, selon elle, est Nutshimit, l’intérieur des terres qui, de manière imagée, représente le fait «de sentir et de vivre la forêt».
Pour moi, écrire est une transmission d’émotions, un partage de traditions. C’est parler de la beauté de Nutshimit*, faire du bien, donner un peu de bonheur.
En écrivant, je rêve au moment présent des mots qui incarnent l’espoir.
Le poème qui me vient toujours en tête est celui qui commence par «Je me suis faite belle.»
Niminunakuitishun
nuash nishkana tshetshi uapatakaniti
tshetshi pishkapatakaniti
nin eka nita
tshe tipatshimikauian.
Je me suis faite belle
pour qu’on remarque
la moelle de mes os,
survivante d’un récit
qu’on ne raconte pas.
— Bâtons à message, Joséphine Bacon
Dans ce poème il y a une histoire, notre histoire, il y a notre invisibilité, on n’est pas raconté·e, il faut se faire belle ou porter des plumes pour qu’on nous remarque. Quand j’ai écrit ce poème on ne parlait pas encore du récit des femmes disparues et assassinées, des enfants attendus qui sont revenus déterrés. L’histoire avait oublié leur âme. Dans ce poème, nous en sommes les survivants d’aujourd’hui.
L’innu-aimun est une langue de verbes, les verbes ne sont pas mensonges, ils sont la langue parlée, notre vocabulaire, nos qualificatifs, tout comme les saisons sont des verbes. Un seul verbe peut être une phrase complète. C’est une langue qui raconte les rêves et qui sait écrire de la poésie. Pour moi, le plus beau mot est Nutshimit, il nous a vu·e·s naître.