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Duceppe
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Le parcours extraordinaire d’Incendies

8 octobre 2024

Auteur et metteur en scène, Wajdi Mouawad créait en 2003 Incendies, un récit qui conjugue l’horreur de la guerre — de toutes les guerres — avec le pouvoir inouï de l’amour. Entremêlant les époques et les territoires, l’intime et l’universel, Incendies a connu un succès international hors du commun. La pièce a embrasé les scènes d’innombrables pays et son texte, à l’étude dans de nombreuses institutions scolaires dans le monde, a été publié en huit langues à ce jour. Enfant au Liban, adolescent à Paris, jeune adulte au Québec, Wajdi Mouawad vit en France aujourd’hui. Retour sur la création et le parcours de cette œuvre-phare du théâtre contemporain qui continue d’émouvoir les publics, ici et partout ailleurs.

Un texte d’Isabelle Desaulniers

Les racines

La pièce de théâtre Incendies est née de la rencontre déterminante, en 2001, entre Wajdi Mouawad, alors directeur artistique du Théâtre de Quat’sous, et la photographe québécoise Josée Lambert, qui a parcouru le Liban en 1995, après la guerre civile qui y a fait rage entre 1975 et 1990. Ayant photographié des détenu·es au moment de leur libération, elle lui apprend l’existence de la prison clandestine de Khiam, un centre de torture sous le commandement de l’armée du Liban Sud (ALS) et de l’armée israélienne. Mouawad l’invite à raconter ces «histoires anonymes» au Quat’sous et s’intéresse alors particulièrement au destin de Souha Becchara, une militante libanaise captive et torturée pendant une décennie. De l’histoire de Souha germe le personnage de Nawal.

Ainsi, l’Histoire est donc au départ d’Incendies, dont le récit tourne autour de la vie du personnage de Nawal Marouane, une Libanaise ayant vécu ce conflit historique, qui ne sera toutefois jamais explicitement nommé, par désir de rendre le récit universel, de sortir d’un contexte historico-politique spécifique. Parce que Wajdi Mouawad souhaite écrire une tragédie et non pas un drame historique. Les références ne seront pas précisées, c’est-à-dire que ni le Liban, ni la guerre civile, ni Khiam, ni le témoignage d’anciennes détenues ne seront clairement cités.

«J’ai besoin de ne pas nommer trop les choses, de laisser une certaine ouverture pour que les gens ne se disent pas “Ah, tiens, c’est sur la guerre au Liban!” Au fond, ce n’est jamais ça qui est vraiment important, c’est surtout un contexte dans lequel évoluent des personnages qui sont pris par des questions autres: l’amitié, l’amour, la promesse, la mort, les relations humaines. Ce ne sont pas des pièces qui traitent de la guerre, ce sont des pièces qui parlent de la tentative de rester humain dans un contexte inhumain», exprime Wajdi Mouawad à propos de sa tétralogie Le Sang des promesses, dont Incendies représente le second volet, aux côtés de Littoral, Forêts et Ciels*

La naissance de la pièce de théâtre

C’est en 2002 que débute le travail de création et de répétition sur Incendies entre Wajdi Mouawad et son équipe d’acteur·ices. Ce travail s’échelonnera sur dix mois. La pièce voit le jour le 14 mars 2003 à Grenoble, sous la direction de Mouawad lui-même, quelques semaines avant la première montréalaise au Théâtre de Quat’sous. En France comme au Québec, elle est acclamée.

Le rayonnement planétaire

Après son succès ici et dans l’Hexagone en 2003, la pièce, traduite et publiée dans plusieurs langues, a voyagé sur tous les continents et a fait l’objet de plus d’une centaine de productions différentes à travers le monde, allant du Japon au Brésil, en passant par la Corée, la Scandinavie, l’Allemagne, l’Espagne, le Maroc, l’Angleterre, les États-Unis, le Mexique, l’Argentine, l’Australie, tant dans les mises en scène de l’auteur que dans celles d’artistes étranger·es, apportant de nouvelles perspectives, tout en conservant l’essence tragique et universelle de l’œuvre.

De la scène au grand écran

Offrant une nouvelle dimension à l’œuvre de Mouawad et la rendant accessible à un public plus large, Incendies est portée au grand écran par le cinéaste Denis Villeneuve en 2010 et met en vedette les Québécois·es Mélissa Désormeaux-Poulin, Maxim Gaudette et Rémy Girard ainsi que la Belgo-Marocaine Lubna Azaba. Sa projection en première mondiale à la Mostra de Venise est suivie d’une ovation de dix minutes. Au Québec, l’accueil du film se traduit par des milliers d’entrées en billetterie dès les premières semaines.

L’année suivante, Incendies est en lice dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère lors de la 83e cérémonie des Oscars. Cette visibilité lui apporte une distribution internationale. Classé parmi les dix meilleurs films de 2011 par le New York Times, le long-métrage rafle neuf prix Jutra et huit prix Génie, ainsi que de nombreuses récompenses internationales. Le succès d’Incendies a propulsé Denis Villeneuve sur la scène internationale à un niveau jamais atteint jusque-là.

L’universalité et l’intemporalité d’Incendies

L’un des aspects les plus remarquables d’Incendies est son caractère universel. Bien que profondément ancrée dans le contexte du Moyen-Orient et des conflits armés, la pièce transcende les frontières culturelles et temporelles. Les thèmes de l’identité, de la réconciliation avec le passé, de la quête de vérité, de la rupture du cycle de la violence et de la force de l’amour résonnent auprès des publics de toutes origines. La structure narrative, qui entremêle différentes époques et divers lieux, renforce cette dimension universelle, et a permis à de nombreuses personnes de se retrouver dans l’histoire de Nawal, Jeanne et Simon.

Incendies de Wajdi Mouawad est une œuvre majeure qui continue d’émouvoir les publics du monde entier. De sa création à Grenoble, aux planches de Duceppe et la vaste tournée du Québec qui suivra en 2025, en passant par son adaptation cinématographique par Denis Villeneuve, en retraçant l’histoire de cette tragédie moderne, on ne peut qu’en admirer la portée et l’impact durable.

Incendies en chiffres

  • 2003: année de création à Montréal

  • 8: nombre de langues dans lesquelles le texte a été adapté et publié (roumain, anglais, allemand, italien, néerlandais, espagnol, portugais et catalan)

  • 40: nombre approximatif de pays dans lesquels Incendies a été produite

  • 75: nombre approximatif de versions professionnelles diffusées à l’international depuis 2005 *Les productions québécoises et françaises sont exclues, celles-ci étant trop nombreuses

  • 50: le film de Denis Villeneuve a été projeté dans une cinquantaine de pays

  • 7: nombre d’acteurs et d’actrices qui interprètent une vingtaine de personnages chez Duceppe

(Sources : Simard Agence Artistique, imdb.com)
*Massimo De Giusti, Wajdi Mouawad : un nouvel espace pour le théâtre