Entrevue avec Maude Guérin et Luc Senay: «La confiance doit être totale.»

Comédien·ne·s au sommet de leur art, interprètes parmi les plus apprécié·e·s du public québécois, Maude Guérin et Luc Senay se sont d’abord retrouvé·e·s dans la série télé 5e rang, avant de vivre, avec Le loup, leur première expérience commune au théâtre. Habituée des planches du Théâtre Jean-Duceppe, Maude Guérin y brillait déjà il y a 30 ans dans Ivanov, partageant la scène avec Michel Dumont qui prodigua quelques précieux conseils à celle qu’il surnommait «la petite»! Pour sa part, Luc Senay, acteur doué et polyvalent, qui a pris part à une centaine de projets en tant qu’improvisateur, animateur, metteur en scène, directeur artistique et scénariste, y monte pour la première fois. Entretien avec les deux formidables interprètes de ce duo théâtral signé Nathalie Doummar.

Vous reprenez, cette fois sur la grande scène du Théâtre Jean-Duceppe, ce spectacle en duo présenté à guichets fermés en mars 2020, dans une formule 5 à 7. Est-ce que l’œuvre est demeurée exactement la même?

MG Pas tout à fait. Le texte est légèrement plus long, car l’autrice a ajouté un monologue pour Solange, mon personnage, qui développe encore plus ce qu’elle ressent à la fin.

LS Je pense que si quelque chose a changé, a évolué, c’est notre regard et notre compréhension face à cette œuvre. Autant pour nous, Maude et moi, que pour Chloé [Robichaud] à la mise en scène. 

On s’est replongé·e·s dans ce texte et il nous est apparu des choses que l’on n’avait pas vues. Aussi, personnellement, ce monologue final de Solange est venu jeter une lumière incroyable sur ce que je n’avais pas vu avant.

Maude, dès 2020, vous disiez que Nathalie Doummar était une autrice à surveiller de très près, pour la finesse de ses dialogues comme pour son don d’émouvoir et de faire rire presque que simultanément. Elle vient d’ailleurs de triompher en ouverture de saison avec Mama. Vous n’êtes donc pas surprise de ce succès?

MG Pas du tout. 

Je suis particulièrement séduite par la force des dialogues de Nathalie. Ils ont quelque chose de si vrai, si naturel. Peu d’auteurs et d’autrices ont un tel don. Elle a un «swing» qui est capable de faire rire et, en même temps, réfléchir. Elle a une observation très fine de l’être humain. 

Dans Mama, toutes ces femmes d’une même famille, inspirée de la sienne, elles sont si vivantes! On a l’impression de les regarder vivre, on se sent presque voyeur·euse·s! Je trouve que Nathalie a quelque chose d’Agnès Jaoui [Un air de famille, Le goût des autres]. Et comme la scénariste française, elle est actrice et je suis certaine qu’elle dit elle-même tout haut ses dialogues! Elle sait donc très bien comment les écrire… Aussi, elle a une aisance à se promener de la comédie au drame qui est rare.

LS Et elle est capable de faire ça à l’intérieur d’une même réplique!

Malgré un sujet grave, qui comporte la maladie, les remords, les regrets, diriez-vous que Le loup peut être aussi drôle par moment?

LS Oui. La maladie, l’Alzheimer, est l’entrée en matière. Ça nous permet de glisser dans l’intimité de Solange et de Donald. Nous ne sommes pas du tout dans The Father, par exemple, où la maladie est très présente.

MG Le loup, c’est juste avant que la maladie envahisse Donald, c’est l’urgence pour lui de dire les choses. L’urgence de redonner à sa femme Solange une partie de sa vie, c’est-à-dire trente ans d’existence commune sur lesquels il a eu une grande emprise. Mais, il ne se doute pas de ce que ça provoquera.

LG C’est particulier lorsque quelqu’un veut ton bien, souhaite t’aider, mais qu’il ne le fait pas du tout pour toi, mais pour lui-même, par pur narcissisme. Il ne pourra pas éternellement surfer là-dessus… Donald, non plus.

MG Il y a beaucoup de choses comme celle-ci qui font réfléchir, mine de rien. Nathalie provoque tout plein de réflexions. Mon fils de 20 ans, qui m’a fait répéter, a été très touché par le texte. Il ne s’y attendait pas et moi non plus, d’ailleurs! Je ne pensais jamais que ça l’atteindrait. Mais, l’air de rien, Nathalie a le don d’entraîner le·la spectateur·trice, avec l’humour notamment, avant de l’émouvoir.

LS Nathalie crée une espèce d’entonnoir dans lequel tu glisses, tu glisses, sans t’en rendre compte, et paf, t’es dedans! C’est passionnant.

La metteure en scène Chloé Robichaud, bien connue au cinéma, a fait ses premières armes au théâtre avec vous? Comment ça s’est passé?

LS Dès le début, Maude a évoqué avec elle cet aspect de passer de la dynamique du jeu réaliste propre au cinéma et l’arrivée sur une scène, avec une autre forme de projection, d’ouverture, mais dans la vérité. 

Car ce que l’on cherche toujours, au cinéma comme au théâtre, c’est la vérité. Et, ce que je dénote chez Chloé, c’est l’intelligence du cœur. Peu de choses lui échappent, et quand elle touche à quelque chose, c’est d’une grande pertinence et ça n’est jamais esthétique. 

C’est qu’il y a un lien, un ressenti qu’elle veut voir et faire ressortir.

MG Chloé sait où elle s’en va, mais elle est aussi très ouverte. Elle accepte les propositions, mais quand elle tient à quelque chose, elle y tient!

Après vous être retrouvé·e·s sur un plateau de tournage pour la télévision, vous étiez réuni·e·s sur une scène pour la première fois avec Le loup. Quelles sont les principales différences entre la télévision et le théâtre?

MG Le théâtre, c’est plus difficile. 

C’est un sport extrême, une seule prise, sans filet. Tu as ton camarade, devant toi, et la confiance doit être totale. Aussi, c’est très intime, beaucoup plus que la télévision. C’est un rendez-vous tous les soirs, c’est à recommencer tous les soirs, comme si nous n’avions jamais joué ce texte. Nous devons trouver comment se renouveler.

LS Le dénominateur commun, c’est la sincérité, la vérité. Au théâtre, à chaque représentation, tu dois vivre tout ça comme si c’était la première fois. Tu entends la réplique pour la première fois et tu dis ton texte pour la première fois.

MG Aussi, au théâtre, il y a une évolution du spectacle au fil du temps que j’apprécie.

LS Tout à fait, et Le loup, nous le jouons ici, à Montréal, mais ensuite nous avons la chance de le présenter plus de 30 fois en tournée, partout au Québec et au Nouveau-Brunswick. Je voulais tellement promener ce spectacle et voir sa résonance en région. Je suis heureux!