Entrevue avec François Grisé
18 octobre 2021Comment voulons-nous vieillir? Étant donné qu’au Québec, d’ici quarante ans, une personne sur trois fera partie de «l’âge d’or», la question est l’affaire d’un nombre considérable de gens. Parmi ceux-ci, l’auteur et comédien François Grisé qui, à cinquante ans, s’est volontairement installé deux mois dans une résidence privée pour aîné·e·s (RPA) pour mieux comprendre la réalité de ses locataires. De ce séjour est née une pièce de théâtre documentaire dont les quatre premiers chapitres ont été créés à La Licorne en 2019 alors que la version allongée ouvrait récemment la saison du Périscope à Québec. Tout inclus est présentée pour la première fois dans son intégralité chez Duceppe et on en discute avec François Grisé, également directeur général et artistique de la compagnie de création multidisciplinaire Un et un font mille.
Quand vos propres parents ont quitté leur maison, vous avez été secoué par la brutalité de cet ultime déménagement. Ainsi, la première partie de Tout inclus fait état de votre séjour volontaire à la résidence Les Jardins du Patrimoine de Val-d’Or. Pourquoi aller jusqu’à vous imposer une telle immersion?
Tout en ne sachant pas, à ce moment, ce que je ferais de l’expérience que j’allais mener, je savais d’instinct que la seule façon de comprendre la réalité de mes parents, de saisir vraiment et de façon sensible ce qu’ils vivaient, était de le vivre. Au départ, je devais d’ailleurs aller habiter avec eux, à Saint-Hyacinthe, mais cela n’a pas été possible. Leur résidence ne me l’a pas autorisé. Mais, ç’a été un mal pour un bien. Si j’avais demeuré avec mes parents, je n’aurais pas pu avoir la distance nécessaire.
Pourquoi ce titre?
Si ça m’a pris du temps à trouver le titre de la pièce, ça ne m’en a pas pris avant d’avoir cette impression que, dans une RPA, on est comme sur une croisière ou dans une formule tout inclus, mais jusqu’à la fin de nos jours. Quand on va dans ce genre de resort, tout est planifié pour nous. On a notre chambre, on nous fait à manger, on nous organise des activités… Cette impression de me retrouver dans un tout-compris m’est venue dans les 48 premières heures passées dans la résidence.
Voyez-vous du beau, du bon, dans le fait de vieillir?
Dans notre monde, quand nous ne sommes plus performants, nous nous sentons comme quelqu’un qui ne peut plus contribuer. J’ai souvent entendu de la part des aîné·e·s: «On ne veut pas être un poids.» Je pense que ce qu’il faut regarder et remettre de l’avant, c’est la beauté d’avoir besoin des autres.
J’écoutais une sociologue récemment à la radio qui disait que lorsque l’on naît, nous en avons pour une vingtaine d’années à avoir besoin de nos parents pour devenir un être humain qui fonctionne. Et je pense que quand on arrive à l’autre bout de la vie, il y a une beauté à accepter de vieillir et à consentir à demander parfois de l’aide. Ce qui est beau dans la vieillesse c’est lorsque l’on trouve des façons d’être en lien et de permettre de l’inclusion.
Aussi, je peux accepter d’être vieux, mais refuser ce que l’on dit des vieux: «les personnes âgées prennent leur retraite, elles ne sont plus efficaces, elles sont malades, elles vont mourir…» Dans le fait de vieillir, il y a une liberté qui m’a été inspirée par de nombreuses personnes âgées que j’ai rencontrées. La liberté de se dire: «Aye ! Je ne suis pas obligé·e de correspondre aux images que l’on me renvoie, ni de les accepter. Avec le bagage de vie que j’ai, avec les liens que j’ai créés, avec l’énergie et la vitalité que j’ai encore, je peux être libre de mes actions.»
Pourquoi avoir choisi le théâtre comme médium pour faire état de votre démarche?
Je serais malhonnête de dire que c’est facile de parler du vieillissement. Même quand on lui donne une «twist» plus positive, cela demeure un sujet méconnu et qui n’attire pas l’attention de tout le monde. Le théâtre reste une formidable façon d’inclure les gens dans cette réflexion et dans cette conversation. En tout cas, c’est le pari que j’ai pris. L’invitation de Duceppe de nous laisser aller au bout de notre histoire, particulièrement à la suite de la pandémie, ç’a été majeur pour nous.
Le théâtre de toutes les époques a été un lieu où l’on peut créer des moments, où l’on peut être ensemble devant des sujets complexes. C’est d’ailleurs la force du théâtre de permettre de se retrouver les uns avec les autres. Et un lieu qui met de l’avant le fait d’être ensemble, qui demande au public de se réunir, ça me semblait un terreau favorable pour Tout inclus.
Pourquoi, selon vous, cette difficulté collective à regarder la vieillesse en face?
C’est l’héritage d’un monde de performance. On met de l’avant des profils jeunes et performants, on remplit nos vies comme ça n’est pas permis! Aussi, de nos jours, les aîné·e·s représentent la mort. Il y a 100 ans ou 120 ans, nous vivions dans une économie de subsistance et, à cette époque, on décédait à tous les âges. Les femmes mourraient en enfantant, les enfants en naissant. On mourrait de maladies à tous les âges, même dans la force de l’âge. La mort n’était pas l’apanage des personnes âgées.
Ça fait peur, l’icône de la mort, de la fin de la vie. Particulièrement dans un monde où l’on se fait injecter du botox à 20 ans…
Aujourd’hui, les vies sont longues et nous ne sommes pas très bons devant la vie qui se prolonge. Nous n’avons pas les moyens ni le temps de prendre soin de nos aîné·e·s. Pour ma part, j’ai décidé de prendre du temps pour mes parents. Je donne le temps que je peux, mais je le donne.
Croyez-vous que les conséquences tragiques de la pandémie de COVID-19 dans les diverses résidences et centres d’hébergement changeront pour le mieux et durablement notre façon de considérer les aîné·e·s?
Oui et non. La pandémie a été l’occasion d’une grande campagne d’éducation. Je pense que personne n’avait autant entendu parler des différences entre une RPA, une ressource intermédiaire et un CHSLD. Il y a eu une catharsis, pour employer un mot du théâtre, une tragédie qui a ouvert les yeux, et qui a fait agir. Le gouvernement a pris certains engagements. Mais il en faudra encore plus, beaucoup plus. À mon avis, il y a eu des impacts positifs, mais quand on voit des choses aussi tragiques, ça crée aussi la peur. L’impact est double. Mais, la pandémie a eu un impact, c’est certain.
Que voulez-vous transmettre le plus aux spectateurs et spectatrices?
Ce sont les mots de M. Caron, un résident du Patrimoine, qui me reviennent tout le temps: «Il faut faire face à la musique et regarder en dedans ce qui nous fait agir.»
Nous sommes actuellement devant des réalités que nous n’avons jamais vécues dans l’histoire de l’humanité, celles d’une vieillesse qui dure aussi longtemps. On doit juste prendre le temps d’accepter, avec simplicité et honnêteté, que chaque individu prend de l’âge et que, collectivement, nous vieillissons.
Le message avec lequel j’ai le goût que les gens repartent, c’est le pouvoir d’être ensemble, de l’accompagnement et de l’amour. Ce pouvoir qui fait agir autant au plan humain, que social. Et qui peut tout changer, vraiment.
Il ne faut pas se laisser décourager. Si on fait l’effort d’y faire face, les solutions sont à notre portée. On doit sortir du déni, du sentiment de dépossession. Parfois, on est tellement dans le déni que l’on ne voit même pas les capacités que l’on perd et puis, bang!... Arrive le moment où nous n’avons plus le choix.
Nous passons notre vie à nous faire dire: «Vous avez toutes les options, vous pouvez choisir ceci, cela, il y a cette marque-ci, ce modèle-là, on l’a en bleu, en jaune, en rouge, il existe en grand, en petit, etc.» Mes parents, arrivés à la vieillesse, n’avaient qu’un seul choix: RPA.
Si l’on souhaite être en accord avec nos valeurs, tout au long de notre vie, vaut peut-être mieux commencer à envisager notre vieillesse un peu en avance. Se demander: «Qu’est-ce que je veux, moi, quand je vais être vieux, vieille? Est-ce que j’ai le goût de prendre ma retraite? Si je désire rester chez moi, est-ce que je peux m’associer avec d’autres, des voisin·e·s, des ami·e·s? Est-ce que je peux aller m’informer à 55 ans au CLSC des moyens d’obtenir des services à domicile? Étant donné qu’il peut y avoir de l’attente, est-ce que je peux m’y inscrire d’avance, un peu comme pour les garderies…». Se préparer.