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La suspension consentie de l’incrédulité
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Soirée-bénéfice 2025
Duceppe
Éditorial

Chère maman

8 septembre 2023

Maman. Quoi de plus universel et puissant que ces deux syllabes? Maman: le mot est au cœur du spectacle Lau, le premier 5 à 7 de la saison du Théâtre Duceppe. En marge de ce monologue touchant et lumineux, les autrices et codirectrices du Théâtre de La Foulée, Marie-Pier Audet et Paméla Dumont, nous confient ce qu’elles aimeraient dire à leur propre mère et invitent trois de leurs collaboratrices et amies à faire de même.

Au-delà de leurs histoires personnelles, leurs messages pleins de poésie explorent le puissant lien qui nous unit à nos mères, qu'elles soient présentes dans nos vies ou pas.

***

Un jour, tu seras comme le ciel, tu seras bleue et tu auras des ailes, par Myriam Daigneault-Roy

Tu me racontais souvent la fois où tu avais su que tu étais enceinte de moi. C’était après un été douceâtre dans la forêt gaspésienne. Dans ton ventre il y avait eu la plus vertigineuse des belles surprises. Je disais que j’étais un accident pour te faire réagir, mais tu rétorquais toujours avec ces trois mots. Une belle surprise. Tu aimais dire que j’avais été conçue devant une aurore boréale sur le bord de la mer à Matane. Ça expliquerait sûrement un peu le lien mystique qui nous unissait toi, moi et le fleuve. L’appel des vagues et de l’eau qui nous envahissait.

Il y a six mois, les plaques tectoniques de notre île de bord de mer se sont frappées dans un fracas fulgurant. Je me rappelle du sentiment de falaise abrupte, de terre qui roule sous les pieds, de coup de poing qui déchire les entrailles du corps et qui fait hurler comme dans les films. Je me rappelle la première fois que j’ai vu ton corps avec l’explosion. Tes cheveux noirs coulaient sur tes épaules comme la rivière chaude à Morin Heights l’été. Tu avais les yeux fermés, mais on pouvait encore distinguer les ornements de mascara et d’eyeliner. En 30 ans, je ne t’ai vue que très rarement sans maquillage. Tu étais toujours toi, même dans le séisme. Si les machines froides de l’hôpital et le tube dans ta bouche n’avaient pas fait partie du décor, j’aurais pu croire que tu dormais.

Tu ne t’es pas réveillée quand j’ai crié ma tristesse de toute la force de mes poumons devant ta chambre, la première fois. Tu ne t’es pas réveillée lorsque j’ai pris ta main toute chaude et que je l’ai placée sur ma tête. Tu ne t’es pas réveillée avec les bisous sur le front et les je t’aime. Tu n’allais plus jamais te réveiller. Cinquante-six ans pour toujours. Toi qui voulais tellement être vieille. Une étoile dans mon ciel.

Je t’entends souvent qui chante: «Un jour, tu seras comme le ciel, tu seras bleue et tu auras des ailes.»

***

Le bonheur d’aimer, par Charlotte L. Desmarais

Maman, tu m’as dit — c’était un après-midi de pluie — en berçant mon garçon avec toute la tendresse que je te connais: «j’espère qu’en pensant à moi lorsque je ne serai plus là, il se rappellera combien il était aimé.»

Quand tu ne seras plus là, où seras-tu ?

Peu importe, je sais que ce sera doux. Ce sera un endroit aussi calme qu’un matin au bord de la mer. Je t’imagine dans un lieu aussi rassurant que tes bras qui me serrent fort, qui me comprennent, qui m’apaisent.

Maman, tu dis souvent en sortant des petits gâteaux — zucchinis, bananes, carottes, chocolats, alouette — du four: «Bon, j’ai fait du ménage de papiers aujourd’hui. Je ne veux pas vous laisser de paperasse à gérer, à ta sœur et à toi, quand je serai partie.»

Quand tu seras partie, ce sera quand?

Peu importe, je devine que ce sera soudain. Ce sera vide sans tes bras — si forts, mais inquiets, je sais — qui m’attendent quelque part pour m’embrasser. À ce moment, si tu pouvais imaginer comme la paperasse j’en rêverai. Elle sera une bouée, comblera un tout petit peu le creux, et j’y fouillerai longtemps — longtemps — pour y trouver des parcelles de toi.

Tes bras sont mon territoire, Maman.

Comme les miens sont devenus ceux de mon fils. Ils ne nous appartiennent plus, hein?

Ils sont à la fois terre d’accueil, balançoire, hamac, couverture.

Je contemple souvent les minutes, les mains enlacées sur mon enfant. Je me dépose dans ces instants furtifs — un jour, il ne voudra plus que je le prenne. Ce sont des secondes que l’on savoure comme une bouffée d’air frais en canicule, hein?

Je le regarde et je pense à toi, Maman. Quand le soleil se lève comme une boule de feu à l’horizon — et que je n’ai pas encore fermé l’œil, moi — ça me réconforte. Ça devrait le consoler aussi, mon garçon, de savoir qu’il a ma présence pour répondre à ses pleurs. Je lui dis à ton petit-fils: «Mes bras seront — toujours et peu importe — là pour toi.» Je lui souris et je pense à toi, Maman. Je réalise que si je suis cette personne pour lui, c’est parce que tu as fait la même chose pour moi. Et grand-maman pour toi. Et que nous sommes une lignée de femmes levées à l’aube pour prendre soin du monde. Je savais que je venais d’un arbre de mères fortes, mais à ce point, ça m’impressionnera toujours.

Merci maman, merci grands-mamans, pour votre douceur et votre résilience.

Notre mémoire à long terme ne peut pas graver tous les souvenirs. Mais quand j’aurai 100 ans, que je serai maman et grand-maman tout à la fois — comme toi — j’aimerais qu’il me reste une eau-forte des petits doigts de mon fils qui me caressent le cou, lorsque je le prends. Et aussi, une image impressionniste, au mieux, de tes bras à toi, de tes grands câlins qui arrêtent le temps.

Alors quand tu ne seras plus là — je ne sais pas quand, je ne sais pas où — je chuchoterai aux vagues qui, elles, me berceront, le bonheur d’aimer, le bonheur d’être aimé·e.

***

Tu me manques, par Marie-Pier Audet, autrice de Lau

Salut! Tu me manques, j’espère que tu es fière de moi pour le théâtre 🙂 Réponds moi.

En relisant ce passage d’un vieux journal intime, j’ai réalisé que tu me manquais énormément et ce, même si j’étais très bien entourée. Une maman, c’est une maman. On n’en a pas deux, dans la plupart des cas. Et cette perte à l’âge de neuf ans a été assez déstabilisante, merci.

Mais je n'ai pas compris l’impact de ton départ sur le coup.

Que représentait réellement ton décès? Je l’ignorais. Tu n’étais plus vivante et c’était comme ça. J’étais la jeune Marie-Pier qui n’avait plus de maman. C’était maintenant ta caractéristique. Décédée. Je ressentais aussi le sentiment d’être déjà une adulte, d’être forte et de pouvoir surmonter cette épreuve sans problème. C’est de toi que j’ai hérité cette puissance, cette solidité.

Au tout début, ce n’était pas si déstabilisant que ça.

Mais en vieillissant, ton absence se faisait sentir de plus en plus. Tu n’étais pas présente pour

mon bal de finissante

mon premier emploi étudiant

mon premier déménagement

mes 18 ans

La liste est longue et je sais que tu aurais aimé être présente à toutes ces réalisations.

Aujourd’hui, je peux enfin nommer ce qui est le plus déstabilisant dans le fait de t'avoir perdue à neuf ans. Ton absence dans les moments difficiles. Ça semble banal, mais c’est exactement tellement ça. Quand la vie faisait mal et que tu n’étais pas à mes côtés, ça m’a foudroyée. Et je t’en ai voulu de ne pas avoir été là.

Je t’en ai voulu. Comme c’est bête! Comment j’ai pu t’en vouloir à toi qui t’es battue jusqu’à la fin contre le cancer? Franchement! Tu n’as pas choisi de m'abandonner.

Aujourd’hui, je comprends. Je comprends que tu es présente plus que jamais à mes côtés. Tu m’accompagnes dans mon quotidien et j’ai une pensée pour toi tous les jours. Je dois avouer que j’ai le cœur gros que tu sois absente dans le moment le plus important de ma carrière, mais c’est grâce à toi, à ta force et à ton courage que je suis rendue là maintenant.

***

Donner la vie, par Katherine IS, collaboratrice à l’écriture de Lau

Respire

Pousse

Pousse

Crie de l’utérus

Respire

Pousse

Pousse

Crie encore

Un savoir ancestral inscrit dans nos corps de femmes

Donner la vie m’a complètement transformée. Non pas parce que je me sens tellement «épanouie dans mon corps de femme» pendant la grossesse ou que je suis «dont ben comblée» par mon rôle de mère (expériences magnifiques et totalement valides si tel est votre cas, soit dit en passant) mais plutôt parce que l’accouchement – je ne parle ni d’avant, ni d’après là, le PENDANT – m’a fait réaliser la puissance qui sommeille en chacune de nous et dont je n’avais jamais soupçonné l’étendue, voire l’existence. Ce savoir ancestral inscrit dans nos corps de femmes. Cet amour infini dont nous sommes capables. Une force primitive passée d’une femme à l’autre, que celle-ci veuille un enfant, ou pas, ou pas maintenant, ou pas comme ça, qu’elle ait fait de son mieux ou de son pire, qu’elle parte, doive partir, ou qu’elle reste, qu’elle ait aimé, qu’elle ait perdu, qu’elle se cherche, aime, déteste, pleure ou rie aux larmes – une ressource éternelle à laquelle nous avons accès et qui, chez moi, s’est manifestée l’espace d’une heure de poussées et de cris millénaires.

Donner la vie a complètement transformé ma vision des possibles – pour moi, pour nous – et a redéfini ma relation à l’art, à la politique et surtout aux autres femmes. Parce que maintenant, je réalise tout ce dont nous sommes capables, je vois le monde que nous pouvons créer ensemble, lumineuses, unies et fortes.

J’aimerais dire merci à ma mère, une femme au cœur d’or qui oublie trop souvent sa valeur inestimable. Merci à ma grand-mère qui a toujours accueilli l’autre tel·le qu’iel est. Merci à celles d’avant et maintenant, à mes ami·e·s, à mes rencontres, à mes collègues, et à vous, lecteur·ices. We got this!

***

Mommy, you’re so beautiful, par Paméla Dumont, directrice de production de Lau

Maman, veux-tu m’épouser?

Maman je deviendrai boulangère plus tard pour te faire des gâteaux.

Maman, promets-moi que tu ne mourras jamais.

Les deux premières, je te les ai dites enfant.
Alors que la dernière, je t’en ai fait la demande quand j’ai su que l’autrice Mélodie Nelson confirmait à ses enfants qu’elle ne mourrait jamais, en attendant de trouver une solution. C’est ce que je te dis maintenant maman, alors que j’ai 30 ans, de me mentir jusqu’à ce que tu trouves le moyen de rester éternelle.

Lors d’une de mes premières séances en psychologie, le psy affirme : «il faudra que tu apprennes à vivre comme si ta mère n’était plus.»
Je suis partie, fâchée.
Et j’ai fini par terminer cette relation, c’était quand même trop brusque cette injonction. De quel droit peut-on demander à quelqu’un de renier son grand amour de son vivant?

«Mommy, you’re so beautiful» dit mon neveu de trois ans à ma sœur, sa mère – le même qui l’a demandée en mariage. À quoi elle lui a répondu: «on va s’arranger».

Le pire cauchemar que j’ai fait a été celui où j’ai imaginé ton décès subi à la suite d’une maladie dont je n’étais pas au courant. En apprenant la nouvelle, sur la route, j’ai dévié vers un nouvel itinéraire. Je me rendais dès lors dans un endroit où avait lieu une orgie à la Eyes Wide Shut. En arrivant sur place, je me rappelle passer le cadre de porte, voir la foule festive et me répéter continuellement et intérieurement: «ne leur dis surtout pas,
ne leur dis pas qu’elle est morte.
Sinon
tu vas tous les noyer».

J’ai la chance de t’avoir en vie et égoïstement je souhaite que tu me survives parce que cet amour est trop immense. Il m’avalerait comme un tsunami s’il avait à être renversé. Parce que tu es mon humaine préférée. Celle avec qui je ris le plus. Celle qui comprend toutes mes blagues et chacune de mes expressions trop intenses, parce qu’on est faites du même bois.

Tu m’as dit un jour: «On ne peut pas réaliser tout ce qu’on représente en tant que mère.»

Tu as eu une vie avant moi tandis que ma vie n’aura jamais connu de monde avant toi. Comment peut-on s’imaginer perdre le fondement même de notre existence? C’est trop dur je trouve. Je ne veux pas l’imaginer, mais je veux bien regarder les histoires, les écouter au théâtre par exemple, parce que ça brasse quelque chose de trop sensible qui appartient à la vérité, celle de la vie déguisée en beauté malgré toute la souffrance inimaginable qu’elle peut générer.