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Tiananmen: retour sur les événements du printemps 1989

14 décembre 2023

Le 5 juin 1989, le photojournaliste américain Jeff Widener capture un morceau d’histoire: le moment où un homme seul défie une colonne de blindés qui traverse la place Tiananmen, au cœur de Pékin, où se tiennent d’importantes manifestations prodémocratie. Le régime communiste chinois y avait envoyé des troupes pour réprimer les contestataires et la répression fut sanglante. Cette image du «Tank man», autour de laquelle la dramaturge anglaise Lucy Kirkwood a imaginé la pièce Chimerica, captivera le monde. Coup d’œil sur l’avant et l’après de cet instant immortalisé. 

Un article d’Isabelle Desaulniers.
La photo iconique du «Tank man» (l’Homme au char). Photo: Jeff Widener

Qu’est-ce qui a conduit au «Massacre de Tiananmen» en 1989?

La place Tiananmen est étroitement liée à divers moments clés qui ont façonné la Chine moderne. Elle a été le théâtre de nombreux moments marquants, dont la proclamation de la République populaire de Chine par les communistes de Mao Zedong, le 1er octobre 1949. Cependant, le plus célèbre et controversé événement qui y est associé est sans aucun doute celui de 1989, souvent appelé le «Massacre de Tiananmen».

Au début du mois de juin 1989, un grand nombre de personnes s’étaient rassemblées sur la place Tiananmen. Crédit photo: AFP.

Dans les années 1980, la Chine connaît d’énormes changements. Le parti communiste au pouvoir commence à autoriser certaines entreprises privées et les investissements étrangers. Le dirigeant Deng Xiaoping souhaite ainsi relancer l’économie et améliorer le niveau de vie. Tout en suscitant l’espoir d’une plus grande ouverture politique, cette évolution voit toutefois les inégalités se creuser et la corruption prospérer.

Un mouvement de protestation naît et prend de l’ampleur au printemps 1989, lorsque des milliers d’étudiant·e·s se rassemblent le 15 avril place Tiananmen pour rendre hommage à Hu Yaobang, l’une des voix les plus progressistes du pouvoir chinois, qui vient de mourir.

Pendant plusieurs semaines, des dizaines de milliers de personnes campent sur la place, principalement des étudiant·e·s et des intellectuel·le·s, et réclament la libéralisation du régime, la liberté de la presse et la fin de la corruption gouvernementale.

Des étudiant·e·s qui manifestent sur la place Tiananmen le 28 mai 1989. Photo: Jeff Widener

Fin mai 1989, les autorités répondent à l’intensification des protestations en imposant la loi martiale. Puis, dans la nuit du 3 au 4 juin, le régime communiste chinois déploie massivement des chars et des troupes vers la place afin de réprimer le mouvement, écrasant les tentes installées, sans se préoccuper de savoir si elles sont vides, et tirant à la mitraillette sur les manifestant·e·s pour reprendre le contrôle de la zone.

Des chars se massent sur la place Tiananmen en juin 1989. Photo: Jeff Widener

Qui est le «Tank man»?

Le 5 juin, un homme se plante devant une ligne de chars qui traversent la place. Les images de cet acte de bravoure solitaire ont captivé l’attention du monde entier et sont devenues un symbole emblématique de la lutte pour la liberté, la résistance pacifique et le courage face à l’oppression.

Jeff Widener n’a pas été le seul photographe à capturer la scène, mais c’est son image — classée parmi les 100 plus influentes de tous les temps par le magazine Time — qui est la plus célèbre. «Chaque photo du Tank Man a une saveur différente. Je pense que j’ai eu de la chance d’utiliser un film au grain aussi fin. Cela a permis de l’agrandir. Je crois que la mienne a également un côté plus “Gandhi”. Il a l’air plus vulnérable, d’un homme ordinaire qui pose une question du genre: pourquoi faites-vous ça? Mon sentiment est que ce type ne se souciait pas de sa sécurité. Il en avait assez et s’en fichait. Il voulait seulement des réponses», exprimera le photographe (The Guardian, 11 mai 2019).

L’identité et le sort de «Tank man» demeurent inconnus. Après cet événement, il a disparu de l’attention publique et il n’existe aucune information vérifiée sur ce qui lui est arrivé par la suite.

Une équipe de CNN couvrait les manifestations quand, de nulle part, est apparu cet homme vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon sombre, portant ce qui semble être des sacs de courses:

La population chinoise sait-elle ce qui s’est passé?

Ces événements restent un sujet très sensible en Chine. Les messages, les images et les vidéos relatifs aux massacres sont rigoureusement filtrés et censurés, et ce, sur internet comme dans les médias. Les manuels d’histoire n’en font pas mention et les discussions en ligne sur ce sujet sont systématiquement censurées.

Ainsi, nombre de Chinois·e·s n’ont qu’une connaissance limitée de ce mouvement de manifestation et de l’implacable répression qui y a mis un terme.

Combien de personnes sont mortes dans la nuit du 3 au 4 juin 1989?

Personne ne sait avec certitude combien de manifestant·e·s ont été tué·e·s. Le bilan, selon les sources hospitalières, est de 1500 mort·e·s et de 10 000 blessé·e·s. Le gouvernement, de son côté, avance le chiffre de 300 décès.

Trente-cinq ans plus tard, il n’existe toujours pas de bilan officiel des violences.

Dans un contexte de tension croissante, des échauffourées éclatent entre contestataires et forces de sécurité près du Grand Palais du Peuple, sur la place Tiananmen, en juin 1989. Photo: Jeff Widener

Trente-cinq ans après les événements: une place sous étroite surveillance

La place Tiananmen est l’une des plus grandes au monde, l’une des plus emblématiques et historiquement significatives de Chine, mais aussi l’une des plus surveillées. Elle est sous une supervision stricte, avec une combinaison de mesures de sécurité physiques et technologiques.

Pour y pénétrer, on doit franchir des portiques de détection de métaux, faire examiner ses sacs aux rayons X et fournir ses papiers d’identité. Les visiteur·euse·s, une fois les barrières et les gardes passés, sont ensuite discrètement observé·e·s par des dizaines de caméras accrochées aux réverbères.

Trente-cinq ans après la répression sanglante du mouvement prodémocratie, le régime communiste chinois a déployé un vaste arsenal pour empêcher toute nouvelle forme de protestation.

La police procède à des contrôles sur la place Tiananmen (juin 2022). Photo: PC / AP / Mark Schiefelbein