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Janette Bertrand: changer les mentalités, une série à la fois

4 avril 2025
Par Isabelle Desaulniers

Par sa curiosité, son ouverture et avec un amour infini pour la nature humaine, Janette Bertrand fut la première à parler de questions délicates à la télévision, abordant sans détour l’inceste, le sida, le suicide, la prostitution, l’obésité ou la transsexualité.

En marge de la présentation du spectacle Janette et des célébrations de son centenaire, nous vous proposons un survol éloquent, en dix temps choisis, de sa carrière radiophonique et télévisée.

Janette Bertrand a œuvré pour les trois principales chaînes généralistes —Radio-Canada, Télé-Métropole (TVA) et Radio-Québec (Télé-Québec)— et, avec souvent un pas d’avance sur son époque, elle a pavé la voie vers une société plus juste et plus tolérante face à la différence. Encore aujourd’hui, elle continue de s’attaquer aux tabous, de combattre les préjugés et les idées reçues.

Janette Bertrand a marqué l’histoire de la radio et de télévision québécoise avec des émissions qui ont joué un rôle clé dans l’évolution des mentalités. Ces classiques, alliant audace et innovation, ont laissé une empreinte durable dans les foyers québécois et ont contribué à ouvrir des débats sociaux importants. Aujourd'hui, ces émissions témoignent de sa vision avant-gardiste, offrant aux jeunes générations un aperçu de ce qui a fait bouger les mentalités au Québec.

Mon mari et nous

1966 à 1971 / CKAC

Au début des années 1950, c’est à la radio que Janette Bertrand s’initie au métier d’animatrice. Elle présente d’abord à Radio-Canada Déjeuner en musique, donc elle écrit les textes, puis rejoint CKAC, où elle anime Jean et Janette avec son mari, le comédien Jean Lajeunesse. Ensuite, l’émission Mon mari et nous, au cours de laquelle le couple livre pendant plusieurs années son train-train quotidien à des milliers d’auditeur·ices conquis·es, marque les années 1970. C’est une première à la radio d’ici, puisque l’émission est diffusée en direct de leur demeure! Janette avait persuadé ses patrons de l’époque d’installer un studio dans sa cuisine, afin de donner un caractère intime à ce rendez-vous radiophonique… En fait, c’est surtout parce qu’elle souhaite être à la maison le midi pour le repas de ses enfants! Elle cuisine pendant que Jean explique la vie politique aux mères au foyer, qui sont, elle en est convaincue, avides de connaissances qui sont alors réservées aux hommes.

«Le midi, mes enfants venaient dîner et, pendant l’émission, mon mari me demandait “qu’est-ce que tu leur fais à manger aujourd’hui?” Et moi, comme une folle, je faisais à manger pendant l’émission! Je décrivais mes recettes à la radio. À un moment donné, un éditeur m’a approchée et m’a dit que sa femme faisait toujours mes recettes. Il m’a demandé pourquoi je ne les publiais pas. Je lui ai dit qu’elles n’étaient pas toutes mes recettes, mais plutôt mon répertoire à moi! Tout ça pour dire qu’on en a fait un livre… et ça a tellement marché!», explique Janette dans le Magazine Caribou (2024). Les recettes de Janette et le grain de sel de Jean, publié en 1968, fut un best-seller vendu à plus de 200 000 exemplaires.

Mon mari et nous, CKAC / Photo : Antoine Désilets
Mon mari et nous, CKAC / Photo : Antoine Désilets

Toi et moi

1954 à 1960 / Radio-Canada

À la télévision comme à la radio, la réalité personnelle de Janette Bertrand est parfois intimement liée à ses œuvres. Ce sera le cas avec Toi et moi, une comédie de situation dont elle cosigne avec Jean Lajeunesse, son mari, les 231 épisodes. Elle dira que la contribution de ce dernier était mineure, mais, qu’à l’époque, le nom d’un homme devait figurer au générique à titre d’auteur.

Aux côtés de Jean, Janette y interprète une série de sketches humoristiques qui dépeignent leur vie familiale, et leurs filles, Dominique et Isabelle, y participent aussi. On assiste à la naissance d’un couple mythique à l’écran, dans ce que l’on pourrait considérer comme l’ancêtre d’Un gars, une fille !

Toi et moi, Radio-Canada / Photo : Radio-Canada
Toi et moi, Radio-Canada / Photo : Radio-Canada

Adam ou Ève

1961 à 1966 / Télé-Métropole

Adam ou Ève, imaginé et animé par Janette Bertrand et son mari, est un quiz qui met en compétition des couples mariés, où les hommes et les femmes s’affrontent dans des jeux, des mises en situation humoristiques et des questions de culture ou d’habileté. Les participant.es peuvent gagner des prix cachés dans les pommes d’un grand arbre.

L’émission est marquée par les taquineries entre Janette et Jean, qui jouent sur les différences entre les sexes. Janette Bertrand, avec son sens de la répartie, sait captiver le public et pose les bases de son influence durable dans les médias québécois.

Adam ou Ève, Télé-Métropole / Photo : Le Journal de Montréal
Adam ou Ève, Télé-Métropole / Photo : Le Journal de Montréal
« Je sais maintenant ce que je veux faire. Je veux prendre la parole pour défendre ceux qui ne l’ont pas. Puisque ni l’État ni l’Église ne me donnent la parole, je vais me servir des médias. » – Janette Bertrand, Ma vie en trois actes

Comment, pourquoi?

1962 et 1963 / Télé-Métropole

Animé par Janette Bertrand, le magazine Comment, pourquoi? s’adresse plus particulièrement aux jeunes et aborde des sujets variés (sexualité, santé ou premier baiser!) avec une approche éducative et accessible. Janette y explore des questions sociales et personnelles, tout en encourageant la réflexion et le dialogue. Seule cette fois, elle devient la confidente des adolescent·es et s’efforce de rassurer les jeunes et de répondre à leurs interrogations… autant que le permet le contexte du début des années 60, c’est-à-dire en faisant totalement l’impasse sur les relations sexuelles.

Cette émission marque une étape cruciale dans sa carrière, mettant en lumière son talent pour communiquer, son engagement envers l’éducation populaire et son ouverture d’esprit.

Quelle famille!

1969 à 1974 / Radio-Canada

Les Bertrand-Lajeunesse sont de nouveau réunis à l’écran. Le téléroman Quelle famille !, écrit par Janette Bertrand et Jean Lajeunesse, raconte les aventures des Tremblay, une famille du quartier Rosemont à Montréal. Avec ses 179 épisodes, cette série chronique le quotidien d’une maisonnée bien de son temps, aborde des thèmes sociaux importants, comme les conflits intergénérationnels, l’éveil amoureux et le rôle des femmes dans le marché du travail. Aussi, on pousse l’audace de faire dormir le couple de parents dans le même lit… Personne n’avait jamais vu ça à la télévision. Leurs vrais enfants, Isabelle et Martin, sont également de la distribution, sans oublier le chien Macaire!

Marqué par son humour et sa capacité à refléter les changements sociaux de l’époque, notamment ceux liés à la Révolution tranquille, voilà un téléroman qui a su rallier le public québécois et suscitera même l’intérêt des Français·es qui diffuseront la série sur leurs ondes, sous le titre Les Tremblay, quelle famille!

Quelle famille!, Radio-Canada / Photo : Radio-Canada, André Le Coz
Quelle famille!, Radio-Canada / Photo : Radio-Canada, André Le Coz

Grand-papa

1976 à 1979 / Radio-Canada

Le 14 septembre 1976 est diffusé sur les ondes de Radio-Canada le premier épisode du téléroman Grand-papa, écrit par Janette Bertrand. Au fil de trois saisons, la série raconte l’histoire de Charles-Henri Lamontagne, un horloger retraité du Plateau Mont-Royal, interprété par Jean Lajeunesse. Énergique, autoritaire et entêté, veuf et père de nombreux enfants, il exerce un contrôle strict sur leur vie, ce qui engendre des conflits familiaux. Cependant, son cœur sera touché par un amour tardif, ajoutant une dimension émotive à l’intrigue.

Grand-papa marque la télévision québécoise par son authenticité et son exploration des dynamiques familiales et l’épisode diffusé dans la soirée du 6 mars 1979 atteint des cotes d’écoute de 2,73 millions de téléspectateur·ices, du jamais vu alors pour un téléroman.

«Je n’ai jamais cherché à dire aux gens comment se comporter du haut d’une chaire. Il y a peut-être une certaine naïveté dans mon cheminement. Si j’ai eu un don, ce fut celui de me rendre compte que j’avais tout à apprendre.» — Janette Bertrand, recevant le premier prix Guy-Mauffette, consacré à la radio et à la télévision, Prix du Québec 2011

Janette veut savoir

1979 à 1982 / Télé-Métropole

L’idée est simple: si vous voulez le savoir, Janette aussi. De 1979 à 1982, c’est à l’émission quotidienne d’information Janette veut savoir qu’elle poursuit son œuvre. Dans une suite logique au courrier du cœur qu’elle a tenu pendant 17 ans dans le Petit Journal, un hebdomadaire populaire publié à Montréal jusqu’en 1978 et où, stupéfaite de certaines réalités, elle ose aborder des sujets délicats (la violence faite aux femmes, leur indépendance financière, le désir au féminin ou encore la contraception), Janette propose cette émission à Télé-Métropole.

Ses invités sont des gens du public qui partagent leur vécu en compagnie d’expert·es. Sur son grand canapé, Janette incarne écoute, chaleur et sincérité. Son style franc et bienveillant lui permet d’approcher tous les sujets sans hésitation. D’une curiosité insatiable, communicatrice accomplie, sans tabous ni censure, elle révèle ce style unique, une façon de faire qui la définit encore aujourd’hui.

Janette veut savoir, Télé-Métropole / Photo : Le Journal de Montréal
Janette veut savoir, Télé-Métropole / Photo : Le Journal de Montréal


SOS j’écoute

1982 à 1984 / Radio-Québec

Janette Bertrand, alors bénévole à Tel-Aide, centre d’écoute téléphonique pour personnes en difficulté, jette sur papier un projet de série dramatique intitulé S.O.S j’écoute. Elle souhaite mettre de l’avant la méthode active d’écoute qu’elle a apprise.

Ainsi, dans ce téléroman en 78 épisodes, on suit deux intervenants d’un centre d’appel (Marie Tifo et Gilles Renaud) qui répondent de nuit aux gens désespérés qui leur confient leur désarroi et leurs misères. Chaque appel offre un prétexte pour aborder une foule de sujets qui y sont démystifiés : suicide, viol, abus, solitude, prostitution, alcoolisme, maladie, etc.

SOS j’écoute, Radio-Québec / Photo : Radio-Québec
SOS j’écoute, Radio-Québec / Photo : Radio-Québec

Parler pour parler

1984 à 1994 / Radio-Québec

Misant sur sa polyvalence et ses multiples talents, Radio-Québec (Télé-Québec) lui confie la conception et l’animation de Parler pour parler, une heure de discussion où Janette reçoit des invité·es issu·es du public, abordant des sujets sensibles dont on n’avait jamais osé parler au petit écran.

Autour d’une grande tablée et d’un repas partagé, avec bienveillance et doigté, Janette joue ici un rôle clé dans l’évolution des mentalités. En réunissant des personnes majoritairement inconnues, mais touchées par les thématiques choisies, elle suscite des échanges sur des sujets tels que la transidentité, les mères porteuses, la prostitution ou encore la vie après après avoir commis un meurtre.

Cette émission offre un espace où les invités peuvent exprimer leurs émotions, et elle constitue également l’une des premières tribunes où des hommes se livrent à cœur ouvert. Violette, incarnée par Diane Jules, est une figure mémorable de Parler pour parler car, tout en assurant le service, elle partage ses réflexions dans lesquelles le public se retrouve.

Parler pour parler, Radio-Québec / Photo : Radio-Québec
Parler pour parler, Radio-Québec / Photo : Radio-Québec


L’Amour avec un grand A

1986 à 1996 / Radio-Québec

Janette Bertrand crée avec cette série dramatique marquante une véritable onde de choc dans les foyers québécois, abordant avec audace des problématiques complexes de notre société. À travers cette fiction, elle démontre le pouvoir qu’une œuvre télévisuelle peut avoir sur les mentalités et les conversations publiques. Les épisodes traitent de thèmes variés et sensibles, tels que la différence d’âge dans les relations amoureuses, la découverte de son homosexualité, la violence conjugale, l’échangisme, la schizophrénie, le viol collectif, les défis de l’amour face à la maladie, le deuil, l’inceste, les gourous ou encore la dépendance au jeu.

Plusieurs comédien·nes s’y sont illustré·es, mettant en valeur leur talent à travers des rôles exigeants. Pensons à l’épisode Michel et François, une histoire de lien père-fils, interprétée par Marc Labrèche et son père Gaétan Labrèche ; L’amour qui tue, un drame familial menant à un féminicide, avec Sylvie Léonard et Ghyslain Tremblay; ou On ne choisit pas qui on aime, une histoire d’amour entre deux femmes incarnées par Mireille Deyglun et Guylaine Tremblay. Voilà une autre émission phare de la télévision québécoise, avec ses dialogues percutants et ses scènes empreintes de vérité, parfois troublantes pour l’auditoire, mais qui suscitent des débats essentiels.

L’Amour avec un grand A, Marc et Gaétan Labrèche / Photo : Radio-Québec
L’Amour avec un grand A, Marc et Gaétan Labrèche / Photo : Radio-Québec
L’Amour avec un grand A, Sylvie Léonard et Ghyslain Tremblay / Photo : Radio-Québec
L’Amour avec un grand A, Sylvie Léonard et Ghyslain Tremblay / Photo : Radio-Québec
L’Amour avec un grand A, Mireille Deyglun et Guylaine Tremblay / Photo : Radio-Québec
L’Amour avec un grand A, Mireille Deyglun et Guylaine Tremblay / Photo : Radio-Québec