Aller à la navigation Aller au contenu
Duceppe
Entrevue

Entrevue avec François Archambault

7 avril 2022

Le défi à la fois exigeant et emballant de François Archambault

François Archambault, premier dramaturge en résidence chez Duceppe, écrit depuis plus de 30 ans. De nombreuses pièces ont marqué son parcours, parmi lesquelles La société des loisirs (2003) et Tu te souviendras de moi (2013). Sa plus récente, trole, publiée chez Atelier 10 à l’automne 2020, est enfin montée chez nous après avoir été reportée pour les raisons que l’on connaît.

François Archambault a commencé l’écriture de trole à l’été caniculaire de 2018. Un été ponctué notamment par les feux qui faisaient rage en Californie et dans l’Ouest canadien, et par les nombreux décès pendant la canicule parisienne. Le problème du réchauffement climatique lui semble alors être le seul sujet sur lequel il vaille la peine d'écrire. Cependant, il tenait à inventer une histoire qui parle de ce phénomène sans communiquer un sentiment de déprime aux spectateurs et aux spectatrices. Souhaitant raconter une histoire humaine, dramatique, mais porteuse d’espoir pour réfléchir à la situation actuelle, l’auteur se retrouvait face à un défi à la fois exigeant et emballant. Deux événements médiatiques lui ont alors insufflé la direction qu’il allait prendre : le reportage-choc de Nathaniel Rich intitulé Losing Earth: The Decade We Almost Stopped Climate Change*[1] dans le New York Times et la démission en direct à la radio du ministre français de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot*[2].

Entretien avec François Archambault qui nous offre un thriller écologique inspiré de personnes et de faits réels, ponctué d’humour et de rebondissements, qui aborde la crise climatique et environnementale d’un angle étonnant et captivant.


Comment la lecture d’un reportage du New York Times — qui relate qu’à peu près tout ce que nous comprenons à l’heure actuelle du réchauffement climatique était déjà compris à la fin des années 1970 —, vous a-t-elle aidé à mettre un peu d’air et de lumière dans le propos?

Je crois que le simple fait de voir des personnages s’attaquer à un problème qui nous touche tous et toutes, avec enthousiasme et espoir de changer les choses, insuffle au récit une énergie positive qui contraste avec l’état d’esprit qui règne en ce moment. En même temps, on va se le dire, la pièce raconte un échec. Celui d’un groupe de gens qui voulaient changer les choses et améliorer le sort des générations futures et qui se sont heurtés à l’inaction et au laisser-aller des gouvernements; des gens qui ont aussi dû faire face à la mauvaise foi et à la malhonnêteté des dirigeant·e·s des compagnies pétrolières. Mais j’espère que le fait de raconter cette histoire aura le même impact que le dossier du New York Times a eu sur moi.

Apprendre que depuis quarante ans nous savons qu’il y a un changement à opérer et que nous avons accompli si peu de choses, malgré les appels à l’action, provoque en moi un sentiment d’indignation et de colère plutôt qu’un sentiment de désespoir.


Et est-ce qu’il y a de la place pour l’espoir dans l’histoire que vous avez choisi de raconter ?

La pièce débute par un geste désespéré de la part de Jarvis, le personnage central. Je voulais témoigner de la détresse et de la blessure à l’âme que l’on doit ressentir quand on sait qu’il faut que les choses changent et qu’on se heurte à l’inaction générale. Mais, paradoxalement, Jarvis ne peut s’empêcher de faire un second geste qui, lui, est porteur d’espoir. Il écrit une lettre à sa petite-fille pour lui expliquer pourquoi il a fait ce qu’il a fait. Consciemment ou pas, Jarvis a encore espoir que les choses changent pour le mieux. Je dirais que la pièce parle de cette dualité que l’on porte tous et toutes en soi.

Face à la situation actuelle, je suis à la fois porteur d’espoir et de désespoir. Je suis à la fois courageux et lâche. Le combat auquel nous assistons entre les personnages de la pièce est une illustration de cette tension qui nous habite tous et toutes, entre ces deux forces. La volonté de changement et la force d’inertie…

Évidemment, on peut se dire que trole est un constat d’échec parce que les personnages n’arrivent pas à obtenir le changement qu’il faudrait opérer. D’ailleurs, un journaliste qui avait lu la première mouture de la pièce m’avait demandé comment je voyais la situation. Il avait l’impression qu’elle laissait peu de place à l’espoir et qu’elle était fataliste.

De mon côté, je pense que le simple fait d’avoir écrit la pièce et de la présenter devant un public est un geste d’espoir. Si je croyais, et si les comédiens et les comédiennes croyaient aussi, que la situation est sans issue, nous ne nous donnerions pas la peine de raconter l’histoire de trole.

Je pense qu’il faut avoir l’honnêteté de se l’avouer: en ce moment, nous fonçons dans le mur. Mais il n’est pas trop tard pour donner un sérieux coup de volant. Afin d’éviter le pire.


Pour la charge émotive de trole, vous avez tiré votre inspiration d’un autre événement médiatique…

Il s’agit de la démission en direct à la radio du ministre d’État de la Transition écologique et solidaire de France, Nicolas Hulot, lors d’une entrevue qui était aussi filmée. C’était août 2018, à peu près en même temps que la parution du reportage du New York Times. Le ministre était interviewé sur les ondes de France Inter et devait défendre le bilan du gouvernement Macron. Il se faisait poser des questions assez serrées. À un moment, il y a un point de bascule, on le sent, il n’est plus capable de cautionner ni de défendre son gouvernement et il annonce qu’il quitte son poste. Quand on parle des changements climatiques, on se fait présenter les choses de manière pragmatique; on nous présente des statistiques, des projections pour l’avenir… Les impacts sur nos vies semblent encore lointains. Mais en écoutant l’entrevue, j’étais témoin des effets psychologiques que les changements climatiques ont sur nous maintenant. Ça m’a profondément touché de voir à quel point Nicolas Hulot était bouleversé à l’idée de ne pas être en mesure de relever le défi qui se présentait à lui. C’est quelque chose que j’ai eu à l’esprit pour le parcours du personnage principal.


À votre avis, est-ce que la pandémie que nous avons connue a rendu plus concrète l’urgence d’agir?

Je ne sais pas. Je pense que nous avons trop souvent besoin d’être dans le trouble pour agir. Mais, en ce qui concerne la pandémie, une fois qu’on a été dans le trouble, il y a eu une démonstration éloquente du fait que lorsqu’on se met ensemble, on peut relever des défis.

L’être humain est très étonnant. Dans les deux sens. Il y a toujours des surprises, négatives ou positives. Mais, l’être humain est parfois capable de grandes choses.

On se retrouve face à de grands bouleversements; il y a aussi de nombreuses prises de conscience qui se font. On est dans une période charnière, ça, c’est clair, et la jeune génération est très, très sensibilisée aux changements climatiques. Elle, elle n’aura pas besoin d’être convaincue qu’il faut faire quelque chose. Elle le sait déjà et est prête à agir. Et ça, c’est ce qui m’empêche de désespérer. Mais la jeunesse a besoin qu’on l’aide. Idéalement, on aurait pu s’attaquer à ce problème plus tôt, mais on n’a plus tellement le choix: c’est maintenant que la partie est en train de se jouer.

[1] RICH, N. (2018). « Losing Earth : The Decade We Almost Stopped Climate Change. » New York Times Magazine, 1er août 2018, https://www.nytimes.com/interactive/2018/08/01/magazine/climate-change-losing-earth.html#prologue Publié en français en 2019 sous le titre Perdre la Terre. Une histoire de notre temps. Paris : Seuil ; Éditions du sous-sol.
[2] HULOT, N. (2018). « Le grand entretien avec Nicolas Hulot. » [Entretien radiophonique disponible en captation vidéo.] France Inter, 28 août 2018, https://www.youtube.com/watch?v=YJZa90g9WSk