Aller à la navigation Aller au contenu
Duceppe
Thématiques

Docteure: Quelques notions-clés pour arriver bien préparé·e

27 septembre 2023

Docteure, c’est avant tout un thriller moral captivant. C’est aussi un condensé de concepts et thématiques sociales propres à notre époque mouvementée. Pour vous aider à vous y retrouver, nous mettons à votre disposition un survol de quelques notions-clés.

Besoin d’y voir encore plus clair? Sous chaque texte, vous trouverez des exemples précis tirés de la pièce. À lire avant votre représentation pour arriver outillé·e ou après, pour approfondir vos réflexions. 

Recherche et aide à la rédaction: Lola Jegu

CULTURE DU BANNISSEMENT (CANCEL CULTURE)

La culture du bannissement, aussi appelé culture de l'annulation («cancel culture» en anglais) consiste à dénoncer et censurer une personne ou une organisation pour des actions considérées comme offensantes ou discriminatoires provoquant l'indignation d'un groupe. Souvent, cette dénonciation publique mène à un boycottage ou à l'ostracisation de la personne en question. Ce phénomène socioculturel est étroitement lié aux médias sociaux, qui demeurent le terrain d’exposition privilégié où sont diffusés des critiques et appels au boycottage de personnalités accusées de racisme, de transphobie, de sexisme ou de grossophobie.

L'idée principale de la culture de l'annulation est de retirer tout soutien ou reconnaissance envers une marque, un dirigeant ou une célébrité, ce qui peut se manifester de différentes manières. Dans notre société moderne, la culture du bannissement est un phénomène en constante évolution qui suscite de nombreux débats sur la justice, la présomption d’innocence, et la liberté d’expression.

Est-ce un réel moyen de lutter pour la justice? Cela permet-il véritablement de tenir pour responsables les personnes ou organisations qui perpétuent des pratiques discriminatoires et inappropriées? Quel est l’équilibre entre la responsabilité sociale et le respect des principes fondamentaux de la démocratie telle que la liberté d’expression?

En répétition: Pascale Montpetit qui incarne la Dre Wolff
Le bannissement dans Docteure

Dans Docteure, le personnage de la Dre Wolff se retrouve victime d’une «chasse aux sorcières», invitant le public à s’interroger sur la culture du bannissement et ses travers tout au long de la pièce. Dès le début de la pièce, la Dre Wolff est la cible de réactions violentes de ses collègues et de la direction craignant que l’affaire entrave les collectes de fonds et ternisse la réputation de l’Institut, ce qui finit par compromettre la poursuite de sa carrière. Lorsque l’affaire se déploie dans la sphère publique, des groupes d’activistes et des commentateur·ice·s s’emparent de l’espace médiatique, amplifiant intensivement les dénonciations.

CASTING DALTONIEN

Le casting daltonien ou colorblind casting désigne une distribution des rôles dans laquelle les acteur·ice·s sont choisi·e·s sans considération pour leurs origines ethniques. Cette pratique peut également impliquer que les comédien·ne·s incarnent des personnages dont le genre est différent du leur.

On retrouve par exemple ce procédé dans des films ou séries illustrant des faits historiques. Dans la série La Chronique des Bridgerton par exemple, des acteur·ice·s non blanc·he·s jouent des personnages ou figures historiques qui étaient initialement blanc·he·s.

Au cinéma, l’utilisation croissante de cette pratique peut être perçue comme une réponse au manque de représentation à l’écran de nos sociétés multiculturelles et diversifiées. Toutefois, cette approche demeure controversée: pour certain·e·s, elle fait partie des meilleures pratiques pour favoriser l’inclusion et la diversité dans l’industrie du divertissement; alors que pour d’autres, elle constitue une forme de réécriture de l’histoire et de rectitude politique qui n’a pas sa place en art.

L’intention des artistes qui adoptent cette pratique peut être d’amener le public à reconsidérer sa lecture des personnages en fonction de leur apparence ou de leur appartenance. 

Certains comportements ou attitudes d’un personnage ont-ils plus de sens ou de portée lorsque nous comprenons que le personnage n’est pas celui qu’il semblait être? Les préjugés que nous avons sur un personnage sont-ils les mêmes si des éléments constitutifs de son identité changent?

Dans la salle de répétition de Docteure.
Le casting de Docteure

Docteure est un vrai labyrinthe identitaire pour les spectateur·ice·s. Son auteur, Robert Icke, a souhaité prescrire intentionnellement un casting inversé pour certains personnages afin d'engager davantage le public et de provoquer des réflexions. Contrairement au blind casting, la distribution des rôles de Junior, Hardiman, Cyprian, et Murphy a donc été faite en tenant compte du genre ou de l’origine ethnique des comédien·ne·s, qui devaient être l’opposé de ceux du personnage qu’ils·elles incarneraient. En faisant interpréter des hommes par des femmes, ou un Noir par un Blanc, par exemple, l’auteur joue avec les préjugés inconscients du public, qui se trouve dérouté par ce tour de force scénique.

BIAIS DE CONFIRMATION

Le biais de confirmation est notre tendance instinctive à privilégier des informations qui confirment nos croyances et nos opinions, et à rejeter celles qui les contredisent.

Nous y avons tous·tes recours de temps à autre, de façon involontaire. Le biais de confirmation nous permet de gagner du temps et répond à notre besoin de certitude. Aimer ce que nous croyons déjà n’est-il pas plus rassurant et moins pénible que d’intégrer de nouvelles informations qui mettraient en doute nos opinions?

Les sujets complexes, nuancés et propices à la polarisation tels que la politique, la religion, les questions de genre ou encore le changement climatique sont susceptibles de susciter un biais de confirmation. Plus nous avons une opinion forte sur ces sujets, plus nous avons tendance à favoriser les informations et arguments qui soutiennent notre point de vue.

Au théâtre, la manière dont nous jugeons les personnages et les actions de la pièce peut être influencée par un biais de confirmation. Chaque membre du public peut ainsi interpréter le propos d’une pièce d’une façon qui confirme ses convictions, ou qui confirme sa conviction que la pièce sert un propos contraire à ses opinions, même si d’autres perspectives sont exposées.

Pourquoi avons-nous du mal à accepter des informations qui contredisent nos idées? Sommes-nous impuissant·e·s face à l’influence de nos biais? Quelles sont les répercussions sociales de ces biais?

Les biais dans Docteure

Dans Docteure, l’auteur joue constamment avec les préjugés inconscients du public et le biais de confirmation. Outre le casting inversé qui amène les spectateur·ice·s à changer de perspective sur les personnages, il expose également le public à un enjeu clivant: celui de la place de la religion au sein de l’institution médicale. La docteure et le prêtre ont des positions diamétralement opposées et en tant que spectateur·ice, nos convictions et idées préconçues nous conduisent à favoriser le personnage qui les confirme.

TOKÉNISME

Traduction de l’expression anglaise «tokenism», le terme tokénisme désigne une pratique consistant à ne faire qu’un effort symbolique pour inclure des membres de groupes minoritaires afin de créer une apparence de diversité.

En 1977, la sociologue américaine Rosabeth Moss Kanter publie son livre Men and Women of the Corporations dans lequel elle emploie le terme «tokénisme» pour décrire la pratique consistant à embaucher des femmes et des personnes appartenant à des minorités ethniques afin de donner l'apparence de la diversité. Elle expose que cette diversité n'est souvent que superficielle, car ces entreprises ne leur offrent pas de véritables opportunités de réussite ou de progression. Le tokénisme s’est imposé dans le langage du monde professionnel, puis s'est étendu à d'autres domaines tels que la politique, l'éducation, ainsi que les médias et la fiction.

Cette pratique est à différencier de la discrimination positive: là où l’intention derrière le tokénisme peut être uniquement d’instrumentaliser l’image des personnes minoritaires pour bien paraître ou bien vendre, la discrimination positive prend la forme d’une politique ou d’une action visant à créer des opportunités égales en accordant des avantages spécifiques (ex. quotas d’emploi ou admissions préférentielles) aux membres de groupes minoritaires.

Comment ne pas tomber dans le piège du tokénisme? Comment les minorités sont-elles véritablement représentées dans les instances de pouvoir ou les productions culturelles?

Le tokénisme dans Docteure

Docteure nous donne un exemple manifeste de tokénisme lorsque qu’on apprend à la Dre Wolff que le comité exécutif estimerait « bien » et « bien vu » que ce soit un homme noir qui occupe le poste de chef de la pharmacologie, au détriment de Jeanne Goldman, candidate mieux qualifiée.

POLITIQUE DES IDENTITÉS (IDENTITY POLITICS)

La politique de l’identité ou des identités («identity politics» en anglais) est une approche qui suggère que les identités sociales (genre, origine ethnique, orientation sexuelle, classe sociale, religion etc.) contribuent à définir les expériences individuelles ainsi que les relations de pouvoir entre des individus.

Ce concept est notamment utilisé par des groupes opprimés ou marginalisés (minorités ethniques, minorités de genre, personnes en situation de handicap) qui revendiquent leur identité collective dans un but de reconnaissance et d’égalité, voire de réparation.

Ces dernières années, plusieurs mouvements ont brandi les arguments de la politique de l’identité pour soulever des questions sur les dynamiques de pouvoir et les inégalités persistantes. Le mouvement Black Lives Matter, créé aux États-Unis en 2013 en réponse aux violences policières et au racisme systémique contre les Afro-Américains, en est un exemple significatif.

Au Canada, le mouvement Idle No More fédère quant à lui plusieurs membres de communautés autochtones qui dénoncent le fait que le gouvernement ne les consulte pas quand il veut modifier des lois qui les touchent. Plus largement, Idle no more attire l'attention sur toute une série de problèmes vécus par les communautés autochtones, et revendique la reconnaissance d’une identité commune et fière.

Complexe et controversé, le concept de la politique des identités est reconnu par certain·e·s comme un outil précieux pour lutter contre les inégalités et l’injustice sociale, et dénoncé par d’autres comme générateur de divisions sociales.

Dans quelle mesure nos identités de groupe déterminent-elles notre manière d’interagir avec les autres? La politique des identités nous transforme-t-elle en camps ennemis en court-circuitant le dialogue? Au contraire, permet-elle une réelle prise de conscience des discriminations subies par les groupes minoritaires?

En répétition: la scène du débat télévisé dans Docteure
Les identités dans Docteure

Docteure explore la manière dont l’appartenance à certains groupes forge l’identité d’un individu et dicte sa place dans la société. Plus précisément, Docteure expose la façon dont les questions d’identité influencent les dynamiques de pouvoir et les dilemmes éthiques.

Puisqu’elle est perçue comme une personne privilégiée en position de pouvoir, les personnages de la pièce répètent à la Dre Wolff qu’elle devrait s’excuser auprès des groupes qu’elle a offensés, ce à quoi elle répond qu’elle ne fait partie d’aucun groupe: elle est médecin, c’est la seule identité dont qu’elle revendique.

Dans la deuxième partie de la pièce, Wolff participe à une émission de télévision dans laquelle elle est invitée à se défendre face à cinq panélistes identifié·e·s comme appartenant à chacun·e des groupes qui auraient été offensés dans l’affaire. Alors qu’elle continue de se définir avant tout comme un médecin, elle est violemment attaquée parce qu'elle est juive, blanche, femme, partisane du droit à l'avortement et instruite.

Ressources complémentaires