Spectacle réconfortant où la distance entre la scène et la salle s’efface peu à peu, Toutes les choses parfaites met en lumière le caractère sans égal des arts vivants et de la scène. Pouvait-on trouver meilleur spectacle pour donner le coup d’envoi de cette saison alternative de Duceppe après une longue pause forcée ? Entretien avec François-Simon Poirier qui porte avec naturel et aisance ce solo chaudement salué à sa création à La Licorne en 2016.
Avec beaucoup de lumière, d’humanité et d’humour, Toutes les choses parfaites aborde des sujets graves tels que la dépression et le suicide. Mais ici, on confronte la problématique du mal-être à son contraire, c’est-à-dire à toutes les nombreuses petites choses exaltantes de la vie, c’est ça?
Oui. La mère du narrateur a longtemps vécu avec des idées suicidaires et elle fait une première tentative quand il n’a que sept ans. Sa réaction, à ce moment, est d’entreprendre une liste de tout ce que lui aime pour redonner le goût de vivre à sa mère. Dans cette pièce, une fois adulte, il raconte les hauts et les bas de sa vie, mais surtout comment le fait d’écrire cette longue liste a changé sa façon de construire sa propre existence. En vérité, il n’y a rien de dépressif dans la pièce, au contraire.
Pouvez-vous expliquer?
La pièce traite de thèmes difficiles, mais ce que Frédéric (Blanchette, le metteur en scène) répète toujours — et je pense que c’est la bonne ligne pour cette pièce — c’est que l’on ne raconte pas l’histoire des tentatives de suicide d’une femme, mais plutôt celle de la liste des choses parfaites que lui a composée son fils pour la soutenir. En prenant l’angle d’un inventaire de tout ce qui peut nous raccrocher à la vie, le récit devient universel, car tout le monde se reconnaît dans ce sentiment de devoir tenir bon à un moment ou à un autre de sa vie. Et je crois que dans toute forme d’art, lorsqu’on s’inspire de l’intime, quand ça part de nous de façon très personnelle, ça tend souvent vers l’universel.
Parlez-nous du rôle particulier du public dans ce spectacle, et la façon dont ce rôle a évolué dans le contexte actuel?
Oui, voilà l’exemple parfait d’un récit qui se construit en groupe, où la spontanéité, la complicité et l’humanité des spectateur·trice·s apportent énormément au spectacle. C’est aussi ça les arts vivants. Et, il ne faut pas avoir peur, c’est simple et c’est dirigé. Sans compter qu’on pardonne d’avance que ça ne soit pas parfait, parce qu’il y a la magie de recevoir en direct, de voir quelqu’un se lancer. Ça devient tout de suite spectaculaire, presque du cirque!
Bien entendu, cette fois, il y aura quelques changements dans le texte et dans la mise en scène, notamment en raison de la proximité limitée avec le public en temps de pandémie. On ne fera pas comme si la COVID n’existait pas. Tous ceux et celles qui viennent voir
Toutes les choses parfaites en ce moment connaissent parfaitement la situation. Ça devient presque une convention et on a même ajouté une touche d’humour propre à ce contexte inédit.
On a envie de faire du théâtre; le public a envie d’y retourner. Alors, il faut bien qu’on se lance! Malgré ce que la situation implique d’ajustements, je pense que les gens seront contents d’être là et que l’on pourra créer une nouvelle magie. On ne doit pas essayer de refaire le même spectacle qu’auparavant et prendre le risque d’être déçu parce qu’il y a des moments qui ne sont plus réalisables. L’expérience sur la scène du Théâtre Jean-Duceppe sera unique et particulière au contexte:
Toutes les choses parfaites, en temps de COVID!
Tout le monde est directement ou indirectement touché par la maladie mentale. Selon vous, parle-t-on assez de santé mentale et pourquoi Toutes les choses parfaites est une histoire que l’on doit raconter aujourd’hui?
Dans cette histoire, au-delà des problèmes mentaux, on aborde la difficulté d’accepter et d’apprécier la vie que l’on a. Le narrateur dira même que si l’on est bouleversé·e quand quelqu’un pose ce geste de mettre fin à ses jours, il y a une partie de nous qui peut concevoir le sentiment de ne plus avoir envie de continuer. On passe tous et toutes par des bouts plus difficiles et l’on a alors besoin de lumière. Et c’est cette lumière que l’on retrouve dans
Toutes les choses parfaites.
Sans compter ce sentiment de communauté qui fait du bien. Comme le public est impliqué, il y a une espèce de communion, une bulle qui se crée. On vit un moment ensemble, en même temps: on participe à quelque chose de pluriel. Je pense aussi que c’est bon de sentir qu’on porte cette fragilité, mais que nous la partageons avec d’autres, qu’on est accompagné·e. C’est un genre de spectacle bonbon, qui fait du bien à l’âme et qui aborde de manière lumineuse une problématique dont on parle trop peu.
Quel est le message que vous aimeriez que le public rapporte à la maison après avoir vu Toutes les choses parfaites?
C’est davantage un élan qu’un message très précis que je souhaite qu’on retienne. L’élan de porter attention à ce qui nous entoure, à tout ce qui nous apporte du bonheur, et d’apprécier vraiment ce que l’on a. Ça peut être des choses minuscules, anodines, qu’on oublie parfois, qu’on ne prend pas le temps d’aimer.
Ce possible élan-là, c’est ce qu’il y a de plus beau dans cette pièce. Aussi, je trouve que les œuvres pleines d’humanité changent notre façon de voir la vie et de regarder les autres autour. Ça
boost notre propre humanité. Ça nous pousse à plus de bienveillance parce que nous sommes allé·e·s dans des zones vulnérables, parce nous avons été touché·e·s par quelqu’un qui se retrouvait dans ces zones-là.
Que lirait-on sur votre liste des «choses parfaites»?
Oh, c’est trop difficile! Impossible de n’en choisir que quelques-unes. En fait, je pense que c’est l’accumulation de toutes les petites choses qui est formidable!