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Duceppe
Entrevue

Entrevue avec Brigitte Saint-Aubin

7 juin 2021

Comédienne et autrice-compositrice-interprète, Brigitte Saint-Aubin mène de front une carrière à la fois musicale, théâtrale et télévisuelle. Avec le spectacle Design intérieur, C’est la première fois qu’elle réunit ses deux passions: la musique et le jeu. Elle en rêvait depuis longtemps. Entretien.

Votre spectacle prend sa source dans un profond chagrin et un grand désarroi… mais on rit beaucoup ! Un beau tour de force. C’était important pour vous l’humour et l’autodérision?

Tellement, oui! L’humour fait réellement partie de ma vie et, ici, c’est un élément clé pour amener le public à me suivre dans mon monde. Comme un fil d’Ariane… je tiens un fil et j’amène les gens dans une grotte. Et l’humour est ce fil qui marque le passage dans tout ce qu’il y a de sombre. C’est l’espoir que la fin soit heureuse!

Vous aimeriez que le public retienne quoi en sortant de la salle?

J’espère que les gens se reconnaîtront quelque part dans le spectacle, qu’ils quitteront le théâtre avec un élan de vitalité. C’est un solo que je souhaite lumineux, rempli d’espoir, très loin du désespoir. J’aimerais que les gens sortent de la salle avec une lueur dans les yeux et une envie de rebondir!

Design intérieur, c’est d’abord un disque encensé, votre quatrième. Vous avez exprimé en entrevue que ce solo est né d’un désir de «parler plus grand qu’une chanson et d’occuper la scène autrement comme interprète». Pouvez-vous m’en dire plus?

C’était une envie de sortir de la boîte, de la forme. Une chanson, c’est très formel. Plus restrictif, plus mathématique. Tandis que le théâtre est plus libre, dans la manière comme dans le contenu. J’avais un grand besoin de parler du deuil et de la maladie de ma mère. Et je me suis rendu compte que les chansons étaient de trop petites cases. Ce sont de brèves histoires de trois minutes, des moments. Par ailleurs, une chanson, c’est formidable pour cette raison, c’est condensé! Mais, je voulais m’exprimer davantage sur mes questionnements, sur le vécu, les traces, où tout ça m’amenait…
J’ai commencé à écrire de plus longs textes, puis des monologues. Petit à petit, le spectacle de théâtre s’est construit. Finalement, chansons et textes, les deux se répondaient. Ils se sont emboîtés de manière naturelle. Les chansons étant l’avenue peut-être plus poétique. Aussi, la musique apporte un tout autre aspect à la compréhension des choses, dans le non-dit et la sensation.

Vous avez créé ce spectacle avec l’aide du dramaturge François Archambault et du metteur en scène Éric Jean. Pouvez-vous me parler de leurs rôles?

François était là dès le départ, au moment où j’envisageais uniquement un spectacle théâtral, avant même de penser à imbriquer les chansons. Il a été mon regard extérieur. Il m’a suivie dans toute la construction dramatique et, ensemble, on a développé ce langage qui comporte plusieurs niveaux de récit. Parfois, je m’adresse directement au public, il y a aussi des scènes où je joue les personnages, et il y a mon discours intérieur. Sans compter qu’il y a le côté direct dans le temps et des flashbacks. On retrouve plusieurs couches, divers niveaux de communication. J’ai pu expérimenter tout cela avec le retour d’un auteur aguerri, que j’admire énormément. Aussi, François a une plume qui s’exprime dans un vocabulaire naturel, un aspect cinématographique dans son écriture très proche du concret et du quotidien. C’était exactement dans cette voie que je souhaitais aller. Eric est arrivé quand j’ai décidé d’imbriquer mes chansons et de créer un spectacle théâtral où la musique serait présente. C’était la personne idéale, parce qu’il aime beaucoup la musique. Elle est importante dans sa vie, dans son œuvre. Il construit souvent à partir de la musique et je savais qu’il appréciait la mienne.
De plus, j’avais envie de travailler avec quelqu’un que je connaissais, qui était proche de moi. Avec qui je n’avais aucune barrière, avec qui je pouvais plonger dans cet univers très personnel et émotif. Eric a été très présent, au-delà de la mise en scène, dans toutes les sphères de cette création.

Diriez-vous que c’est un solo autobiographique? Êtes-vous réellement retournée au Cégep?

Je suis retournée un an au Cégep en design intérieur. C’est certain que, comme dans toute construction fictive, il y a une part arrangée avec le gars des vues. Mais, ici… pas tant que ça! C’est une démarche personnelle, très autobiographique, sur la reconstruction. Ma mère a été malade pendant cinq ans avant de mourir et ç’a été difficile pour elle d’accepter la fin. Elle demeurait à Québec, elle était loin, j’avais de jeunes enfants… Pour être franche, ç’a été épuisant. Depuis ma sortie de l’école de théâtre, c’est la création qui m’habite. J’ai toujours cherché à exprimer les choses différemment. Mais, après son décès, je n’avais plus rien à dire. J’étais dans une espèce de vide, pendant plusieurs mois. J’étais à plat, épuisée de mon métier aussi. Épuisée de me «réinventer»! Mais, en même temps, je voulais tout refaire chez moi… J’ai donc reçu une designer et j’ai réalisé que cette femme allait chez les gens, les écoutait, s’affairait à rendre meilleur leur milieu de vie. Il y a de la psychologie, du dessin, de la créativité et je me suis dit, tiens, peut-être que je pourrais me retrouver dans ce genre de métier… Et je me suis inscrite au Cégep sur un coup de tête!

Design intérieur est un spectacle introspectif, à la fois extrêmement personnel et étonnamment universel, n’est-ce pas?

Le besoin de se redéfinir, le fait d’arriver à un carrefour de sa vie et se questionner, je pense que ça peut toucher tout le monde. Pour qui je fais les choses? Pourquoi? Nous cherchons tous une façon de lâcher prise et d’accepter qui nous sommes vraiment.
Cette année, il y a eu de nombreux deuils. Des gens ont dû se réorienter, se repositionner, d’autres se sont mis sur pause et ne l’avaient jamais fait. Design intérieur soulève la question: sur quelles valeurs base-t-on nos choix de vie? C’est une année qui nous a remué·e·s, je pense, comme société, et dans le quotidien de chacun·e, cette question a pris davantage de place. Celle que Duceppe pose sur le visuel promotionnel de la pièce, «La réussite: une question de perspective?», résume bien l’ensemble du spectacle.
Pour certain·e·s, la dernière année a permis d’acquérir une certaine perspective, a amené de grands changements. Un peu comme la finalité du parcours de ma mère m’a projetée, malgré moi. Plusieurs ont vécu la même chose pendant la pandémie: une occasion de se questionner et de se projeter. Il n’y a pas eu que du mauvais.
Rédaction: Isabelle Desaulniers Photos: Le petit russe