Entretien avec l'auteur Jean-Rock Gaudreault

Voici quelques extraits d'un entretien portant sur la pièce La traversée de la mer intérieure, qui prend l'affiche aujourd'hui.

« La traversée de la mer intérieure s’inscrit dans la continuité d’Une maison face au nord. Quand j’en ai terminé l’écriture, il me restait de la matière, de l’élan. Je savais que je n’avais pas épuisé les possibilités de cet univers. Et puis j’avais aussi terriblement envie de réécrire pour Michel Dumont et Pauline Martin qui sont des acteurs formidables. »

À propos de la politique au théâtre

« Ça faisait un moment que j’avais la volonté de parler de la vie politique. Je suis un passionné de politique, comme on peut l’être de sport. Je l’observe et aime en parler plus en qualité de gérant d’estrade. Il n’y a aucun esprit partisan dans ce que j’écris. Avant d’amorcer le travail d’écriture, je savais que je voulais écrire une comédie dramatique. Et il est vrai que le côté grand guignol que prend parfois la politique m’offrait un bon terrain de jeu. »

À propos du vieillissement

« Le vieillissement est un thème qui m’interpelle de plus en plus, surtout le sentiment d’être dépassé par le cours des évènements. Tout évolue tellement vite ! Il y a un constant attrait pour la nouveauté qui fait que tout ce qui est ancien semble nécessairement mauvais. Le passé n’existe plus et le présent est au service exclusif du futur immédiat. J’avais donc envie de mettre en scène des personnages déphasés, perdus, ou en rupture avec le contexte dans lequel ils évoluent.

Je voulais aussi questionner la possibilité de rester solide dans ses convictions dans une société qui les rejette dès qu’elles ne sont plus au goût du jour. Si jeunes et vieux sont en conflit dans la pièce, ce sont des personnages qui s’estiment malgré tout. Ils apprennent les compromis et l’empathie, choses sans quoi la vie avec les autres est impossible. »

À propos des personnages de la pièce

« De manière générale, la dramaturgie québécoise est peuplée de perdants. Nous avons très peu de héros. Dans mon écriture, je lutte volontairement contre ce misérabilisme ambiant que je trouve bien souvent complaisant et peu constructif, en plus de nous placer nous, spectateurs, dans un rôle de voyeur malsain.

Rosaire Bouchard n’est clairement pas un looser. C’est un battant qui avance avec la force de ses convictions. Avec ce personnage, j’avais envie de questionner le manichéisme simpliste qui décrète, par exemple, que l’humanisme est exclusivement de gauche, ou qu’il vaut mieux être idéaliste que pragmatique. J’avais envie de provoquer le débat entre ces visions dualistes, en mettant en scène ce Rosaire Bouchard qui n’est pas politiquement correct et plutôt conservateur, mais qui, malgré cela, est le héros de l’histoire. Et je n’ai aucun doute que Michel Dumont va me surprendre dans ce rôle.

Face à lui, ça prend du cran pour incarner le rôle d’Éric, jeune stratège aux dents longues. Quand Monique Duceppe m’a proposé Pierre-François Legendre pour ce personnage, j’ai tout de suite été convaincu. Je connaissais la polyvalence de cet acteur et je l’imaginais tout à fait dans le rôle que j’avais écrit.

Le rôle de Solange, je l’ai clairement écrit avec Pauline Martin en tête. Et c’est tellement une grande actrice qu’elle a aussi nourri mon écriture. Solange a un regard déphasé sur le monde qui l’entoure, elle est à cheval sur deux époques. C’est aussi un personnage plein d’humour. Ce rôle m’a également permis d’aborder la question religieuse, car le personnage de Solange est croyant. Et aujourd’hui, on le sait, cette question autour de la religion est rendue taboue. Je me suis donc amusé à questionner ce malaise social avec ce personnage.

Le rôle de Paul-Émile qu’incarne Marc Legault joue sur différents registres. C’est un personnage qui dérape, une sorte d’intellectuel décati qui conserve des éclairs de lucidité. C’est un cynique qui confronte forcément les autres et les pousse dans leurs retranchements. C’est, je pense, un rôle parfait pour Marc Legault qui est un acteur exceptionnel. »