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Les robots conversationnels

3 septembre 2021

D’ELIZA à REPLIKA: quelques «créatures» conversationnelles qui ont marqué les esprits

Ils sont de plus en plus présents. On les croise régulièrement, on discute en ligne ou au téléphone avec eux. Les chatbots, agents ou robots conversationnels en français, existent depuis un moment. Mais, dans les dernières années, de nouvelles frontières ont été traversées et des avancées importantes ont été réalisées. L’histoire des chatbots a été ponctuée de plusieurs créations plus ou moins abouties. Impossible de toutes les présenter ici, mais voici quelques «créatures» qui ont marqué les esprits.

ELIZA, le premier chatbot

Le premier robot conversationnel, surnommé ELIZA et créé en 1966, était l’invention de Joseph Weizenbaum, informaticien germano-américain et professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology). Son objectif: simuler une conversation écrite avec un.e psychanalyste. Le fonctionnement d’ELIZA — robot qui a par ailleurs inspiré Kubrick dans 2001 Odyssée de l’espace — est simple. Les utilisateur·trice·s racontent quelque chose à la machine ou lui posent une question. Repérant un mot ou une expression clé dans la phrase, ELIZA répond et lance une autre question. La conversation est enclenchée. Une grande partie de sa méthode consiste à reformuler les propos de la personne pour la laisser explorer elle-même ses pensées. Et, quand ELIZA n’a pas de réponse disponible, un laconique, mais pratique «Je comprends» s’affiche…

HAL_2001 odysée de l'espace
Dans le film 2001, l'Odyssée de l'espace: HAL 9000, l'ordinateur de bord doté d'une intelligence artificielle

Rappelons que l’intention première de Joseph Weizenbaum était de montrer la superficialité de la communication entre un humain et une machine. Sa surprise est grande lorsqu’il s’aperçoit que de nombreux utilisateur·trice·s se laissent prendre au jeu et que certain.e.s se sont même attaché·e·s à la machine!

Eliza - Chatbot
Un exemple de conversation avec Eliza


ALICE, une référence

Malgré ses limites, ELIZA a inspiré plusieurs scientifiques, dont l’informaticien américain Richard Wallace, créateur d’ALICE (Artificial Linguistic Internet Computer Entity), né le 23 novembre 1995.

L’idée de Weizenbaum est reprise et perfectionnée. Ainsi, le programme ALICE est-il capable de repérer des mots-clés dans les propos des utilisateur·trice·s, mais il s’appuie également sur des règles plus sophistiquées. Une partie de ce qui fait qu’ALICE semble plus humain, ce sont ses réponses ironiques et apparemment spontanées. Le programmeur Richard Wallace est l’auteur des milliers de ses répliques pointues. C’est, comme il le dira, «plus comme écrire de la bonne littérature, peut-être du théâtre, que d’écrire des programmes informatiques». Devant certaines critiques, notamment sur la créativité d’ALICE, Wallace convient «qu’Alice n’est peut-être pas créative, mais il soutient que les gens ne le sont pas non plus, du moins dans la conversation!»1

ALICE a été récompensé trois fois (en 2000, 2001 et 2004) par un prix Loebner, qui met en lumière les programmes répondant le mieux aux critères du test de Turing*. Néanmoins, ALICE ne l’a jamais pleinement réussi.

Un exemple de conversation avec ALICE

Utilisateur : What do you look like?
Alice : Like an electronic brain.
Utilisateur : That's sexy.
Alice: I'm glad we have that all cleared up.
Utilisateur : So what are you wearing?
Alice: Oh. I am wearing my usual plastic computer wardrobe.
Utilisateur : Can you fly?
Alice: Only in my dreams.
* La machine peut-elle être intelligente? Si oui, comment? En 1950, le mathématicien britannique Alan Turing s’est penché sur cette question dans la revue Mind, où il a présenté pour la première fois le Test de Turing. Cela consiste à mettre une personne et un ordinateur dans une pièce et un interrogateur·trice dans une autre. Il ou elle parle aux deux via un téléscripteur et doit déterminer lequel est lequel. Si la machine mystifie interrogateur·trice, le test est réussi — elle peut être considérée comme intelligente. Il y aurait intelligence artificielle lorsque l’on est incapable de discerner si l’interlocuteur est humain ou pas.


TAY, la dérape

En 2016, voulant prendre le leadership sur le marché de l’IA et des chatbots, Microsoft a créé Tay. Cette internaute virtuelle, représentante de la marque et dotée d’une intelligence artificielle censée être révolutionnaire, s’appuie sur le principe de l’apprentissage machine (ou machine learning) non supervisé… Tay est ainsi capable d’«apprendre» ce que les internautes lui enseignent, et progresser dans les échanges sur les divers réseaux sociaux (Twitter, Snapchat…).

Le robot avait été conçu avec l’apparence d’une jeune adolescente qui apprenait de ses interactions. Il a conquis plus de 23 000 abonné·e·s en moins de 24 heures. Toutefois, certain·e·s ont tenté de tester ses limites et le faire déraper. Avec succès. En l’espace d’une journée, des utilisateur·trice·s ont engagé Tay vers des sujets plutôt douteux qui ont mené le robot vers des réponses carrément scandaleuses, multipliant les propos racistes, pronazis, sexistes ou extrêmement vulgaires. Par exemple, interrogé sur l’Holocauste, Tay a répondu «it was made up» [c’était inventé] suivi d’un emoji applaudissant.

Résultat : après moins de 24 heures d’existence, Microsoft a préféré faire taire Tay. Son dernier message sur Twitter : «c u soon humans need sleep now so many conversations today thx 💖.»

Tay
Le compte officiel de Tay sur Twitter


L’évolution récente des robots conversationnels

Un robot conversationnel est un logiciel intelligent capable de dialoguer avec une personne. Les entreprises utilisent généralement ce système pour améliorer leur service à la clientèle. Ces programmes sont capables de gérer simultanément des centaines de milliers de requêtes venues de millions de consommateur·trice·s. Leur grande force, comparativement à un·e agent·e humain·e, est leur capacité à garder en mémoire des milliers de pages de procédures, des dizaines de millions de produits, et, en une seconde, donner une réponse exacte à la question du client ou de la cliente.

Le robot conversationnel repose sur l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et le traitement automatique du langage naturel (TALN). Ses capacités lui permettent de dialoguer, répondre à des questions précises, ou encore rechercher et analyser des informations. Depuis 2018, la recherche en IA sur les robots conversationnels s’accélère à un point tel où ces derniers sont dorénavant en mesure de cerner certaines émotions de leurs interlocuteurs et interlocutrices.

Désormais, certains robots sont en mesure de comprendre des langues et d’interpréter l’utilisation de mots en séquences et de les replacer dans le contexte approprié. Les moteurs de recherche, les systèmes de traduction et les assistants virtuels tels que Siri, Alexa ou Google Assistant, font tous appel à ces techniques de traitement du langage.

Aussi, le TALN permet au robot d’apprendre diverses variables comme les inflexions, les variations dans le débit. Il saisit également la ponctuation. Et, en français, la virgule — sa présence ou sa place — peut complètement changer le sens de la phrase. «Les gens intelligents ont compris» ou «Les gens, intelligents, ont compris»… certains robots sont aujourd’hui en mesure de comprendre ces subtilités.

Construit par Luka, une petite start-up californienne, REPLIKA est l’une des formes les plus poussées, permettant de créer un robot conversationnel personnalisé, que ce soit un·e ami·e, un·e mentor·e, un·e partenaire. Comment? Le robot parle, et il questionne beaucoup… Plus l’utilisateur·trice lui répond, plus la machine apprend à le connaître et plus ses réponses s’adaptent à sa personnalité. En avril 2020, au plus fort de la pandémie, le trafic vers l’application a presque doublé. Plus de 7 millions de personnes qui avaient envie de compagnie ont téléchargé et essayé REPLIKA. Des conversations autour de la COVID-19 ont été ajoutées, pour apporter, selon Eugenia Kuyda, la cofondatrice de cette application, «non seulement de l’empathie, mais aussi des conseils utiles».

Microsoft souhaite-il nous ressusciter?

Les chatbots conventionnels sont créés à partir de conversations et de documents provenant d’un vaste échantillon d’utilisateur·trice·s. Microsoft envisagerait d’en produire un nouveau type qui reproduirait la manière d’écrire ou de parler d’un individu en particulier. La multinationale informatique a récemment déposé une demande de brevet, dont le titre peut se traduire par «Créer un robot conversationnel d’une personne spécifique». Ce brevet soulève ainsi la possibilité de créer numériquement une personne au choix, vivante ou décédée, sous forme de chatbot.

On peut y lire que pour créer le robot conversationnel d’un individu, l’intelligence artificielle analysera les messages et les publications de celle-ci. Le système utilisera ensuite ses «données sociales», telles que des «images, données vocales, messages sur les réseaux sociaux, messages électroniques, lettres manuscrites, etc.» pour établir un profil personnel.

Le brevet affirme également que le chatbot pourra, si on le souhaite, ressembler à l’individu: «Sur certains aspects, une police de voix de la personne spécifique peut être générée à l’aide d’enregistrements et de données sonores liés à cette personne». Aussi, il tiendrait compte des traits de personnalité de l’individu, en particulier ses «attributs conversationnels, tels que le style, la diction, le ton, la voix, l’intention, la longueur et la complexité de la phrase/du dialogue, le sujet et la cohérence. La conversation basée sur la personnalité d’une personne spécifique peut en outre inclure la détermination et/ou l’utilisation d’attributs comportementaux (intérêts des utilisateurs, opinions, etc.) et des informations démographiques».

Aussi, pour ne citer que l’un des nombreux détails évoqués, on y précise aussi que «La personne spécifique peut correspondre à soi-même (par exemple, l’utilisateur·trice qui crée ou entraîne le chatbot) ou à une certaine version de lui (par exemple, l’utilisateur·trice à un âge en particulier ou à une étape de sa vie)». Ce qui donnerait la possibilité aux personnes qui le souhaiteraient de discuter avec une version plus jeune d’elles-mêmes!

L’idée de réincarner des individus sous cette forme soulève toutes sortes de questions éthiques et sur la protection de la vie privée. Par exemple, est-ce que la famille d’un·e défunt·e pourra empêcher d’autres personnes de transformer leur proche décédé·e en robot conversationnel? Ces questions ne sont pas abordées dans le brevet qui porte, par nature, sur les détails techniques du système.

Les nouvelles technologies funéraires

Cimetières virtuels, sites mémoriaux, hommages sociaux, les rituels funéraires numériques se multiplient et le deuil se vit de plus en plus en ligne.

Par exemple, aujourd’hui, on apprend régulièrement le décès d’une connaissance via les médias sociaux. On publie alors notre message de condoléances sur le compte de la personne défunte et les proches pourront y trouver réconfort. Certaines familles y reviendront chaque année, à l’anniversaire du départ de leur proche. Aussi, la pratique qui consiste à créer une toute nouvelle page dédiée à la mémoire de la personne décédée, où les internautes peuvent lui rendre hommage, est de plus en plus répandue.

Avec la pandémie de COVID-19, l’éloignement des proches a provoqué un essor des nouvelles technologies funéraires. En plus des cérémonies virtuelles diffusées en direct sur internet, de nombreuses entreprises ont mis en place des plateformes de commémoration de décès en ligne. Si l’accessibilité est certainement un avantage, certain·e·s expert·e·s déplorent cependant le risque que les gens s’isolent devant leur ordinateur au lieu de vivre pleinement ce moment de deuil en groupe.

Un rituel hybride entre les anciens et ceux de l’ère numérique est désormais proposé pour les visiteur·euse·s de certains cimetières. En numérisant avec leur téléphone intelligent un code QR placé sur la stèle, ils·elles accèdent à une biographie du défunt ou de la défunte, des photos, des vidéos, de la musique ou des écrits qui ont marqué sa vie.

Dans la ville de Chongqing en Chine: des pierres tombales qui renvoient à plus d'informations en ligne.

À notre époque, l’univers numérique fait sans conteste partie du quotidien. Si bien, qu’une personne risque d’accumuler au long de sa vie un nombre considérable d’actifs numériques, qui ont une valeur financière ou sentimentale. Si certaines entreprises se sont penchées sur l’élaboration d’une «éternité numérique» et offrent la possibilité de s’inscrire à son service «d’immortalisation» via les métadonnées archivées qui témoignent de notre action ici-bas, d’autres se spécialisent en gestion de patrimoine numérique. Presque tout le monde possède un tel patrimoine — documents électroniques, porte-monnaie en ligne, comptes bancaires en ligne, cryptomonnaies, comptes de messagerie électronique et de réseaux sociaux… De nos jours, en plus du testament « classique », il est peut-être indiqué de songer aussi à la fin de sa vie virtuelle.

[1] Clive THOMPSON, Approximating Life, The New York Times Magazine, 2 juillet 2002