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Duceppe

Jeune critique : Alexie Legendre, 17 ans

9 janvier 2018
Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en allant voir la pièce. Je n’avais pas lu de critique ni de résumé de l’histoire, car je voulais me faire ma propre opinion, sans être influencée par celle des autres. Il faisait froid dehors, la 55 était bondée de gens pressés, stressés, mais heureux d’être vendredi. J’avais hâte de replonger dans l’univers de Tremblay. Sous la lumière des néons de l’autobus, en équilibre entre deux poussettes format Costco, les pieds dans la slush, je me suis mise à rêver. De Thérèse et ses timbres, qui m’a donné la piqure du théâtre à 10 ans et de Carmen et ses chansons, qui m’ont fait rêver plus d’une nuit lorsque j’en avais 14. Marcel, Albertine, Hosanna, ces personnages torturés, mais tellement attachants et insaisissables ont coloré mes pensées durant tout le trajet. Je dois l’avouer, j’avais un très gros préjugé envers le Théâtre DUCEPPE. Cette salle de spectacle immense où se réunit ce fameux public de l’âge d’or pour apprécier des classiques remontés pour la centième fois ne m’attirait pas du tout. Il faut dire que le prix des billets, à partir de 38 dollars, n’aidait pas non plus. Je n’ai donc pas été surprise, en arrivant, de voir ces centaines de têtes blanches bien coiffées remplir le théâtre. Malgré tout, j’étais contente d’y être, je vivais une expérience et je me disais que si cette immense salle était aussi remplie, c’est que la pièce en valait sûrement la peine. Les lumières se sont tamisées sur la belle voix chaude de Michel Dumont et le rire retenu des spectateurs qui n’ont pas pu s’empêcher de laisser échapper un gloussement au fameux : « Et n’oubliez pas de déballer vos bonbons avant le début de la représentation! » En résumé, on voit sur scène un jeune Michel Tremblay, interprété par Henri Chassé, qui se pose des questions sur la vie, la religion, les règlements, etc. En bref, il se demande pourquoi. Sous forme de saynètes, Michel interagit avec sa mère (Guylaine Tremblay), sa maitresse d’école (Isabelle Drainville), sa grand-mère (Danielle Proulx) et d’autres personnes de son entourage. C’était bien écrit et ça ne m’a pas surprise. Bien dosé entre les sujets délicats et un humour léger, Tremblay est resté fidèle à sa plume habituelle. Par contre, je n’ai pas vu d’Hosanna flamboyant, de Marcel déchiré ou d’Augustine torturée. Je n’ai pas été emporté par une histoire rocambolesque, je n’ai pas pleuré devant la misère du peuple ni ri aux éclats face à l’absurdité de la vie. Je n’ai pas vu le vrai monde, mon vrai monde, qui caractérise pourtant l’œuvre de l’emblématique auteur. Peut-être est-ce à cause du format du spectacle; plein de petites scènes ou de la mise en scène plutôt stagnante que l’intrigue n’allait pas plus loin que : « Madame, ma mère trouve que vous avez un nom de chien.» Je pensais que je n’étais pas la seule du même avis, car la dame assise à côté de moi s’est permis de piquer un somme tout le long de la représentation. Son léger ronflement a accompagné les voix puissantes, mais monotones, des comédiens. Ça ne lui dérangeait pas de payer quarante dollars et de l’investir en sommeil. Par contre, quelle n’a pas été ma surprise de voir, lors du salut, le public se lever, unanimement, pour un standing ovation enflammé. Je me sentais si petite, assise sur mon siège en velours et je ne comprenais pas. J’admire Michel Tremblay, mais j’ai déjà vu mieux. le Vendredi 15 décembre, chez DUCEPPE, on n’a pas changé le monde, on n’a pas brisé les conventions, je ne suis pas sorti de là changée, bouleversée, les émotions en temps réels, je ne les ai pas ressenties. Par contre, la dame du siège N.23, la spécialiste des power nap à quarante dollars, ne s’est pas posé de question. Elle n’a pas réfléchi avant de se lever et d’acclamer les comédiens. Sans avoir écouté une ligne du spectacle, elle s’est levée sans hésiter, pour faire comme tout le monde, j’imagine. Alors moi je me demande : combien de personnes, dans cette salle, ont vraiment aimé le spectacle? Combien ont vraiment trouvé qu’Enfant insignifiant! était à la hauteur de Michel Tremblay? Moi je pense que vendredi dernier, il y avait beaucoup de monsieur/madame N.23 et qu’ils trouvaient ça tout simplement plus facile de se fondre dans la masse, que d’avoir sa propre opinion et de critiquer ce qu’ils n’ont pas aimé. Si on veut que le théâtre de la relève perce dans le milieu, il faut que le public arrête de se complaire dans ce qui est confortable. Il faut sortir des sentiers battus, essayer de nouvelles choses, allez voir ce qu’on n’a jamais vu, critiquer ce qu’on n’aime pas sans avoir peur d’être jugé, se faire ses propres opinions, arrêter d’être des moutons et ne pas écrire qu’on a aimé le spectacle, dans le seul but d’être publiée. Alexie Legendre, 17 ans