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Duceppe

Jeune critique : Gabrielle Chartrand, 17 ans

17 novembre 2017
Le chemin des passes dangereuses, la fin de la route La pièce Le Chemin des passes dangereuses a récemment été présentée au Théâtre Jean-Duceppe. Cette proposition théâtrale écrite par Michel Marc Bouchard et mise en scène par Martine Beaulne était présentée du 14 février au 24 mars 2018. Elle y dresse le portrait de trois frères, trois protagonistes plus grands que nature qui cherchent à s’exprimer, parfois avec maladresse, parfois avec sincérité, parfois avec colère et parfois avec l’envie de blesser. Le texte est percutant. Inutile de nier sa portée universelle, qui en plus de rejoindre plusieurs personnes de toutes les mœurs et toutes les époques témoignent de cette difficulté qu’ont les hommes à s’exprimer, à des époques où le cadre est si serré qu’il en étouffe les êtres qui divergent un tant soit peu de ses limites. Freud a qualifié de surmoi cette entité emblématique des années où le contrôle par la tradition et la religion empoisonnait des personnes comme Ambroise dans un enclos de solitude que seule la fuite permettait de contrer. C’est également cette force qui pousse Carl à se complaire dans une vie simple et rangée, dans le moule, et Victor à devenir une épave car il se sent dévoré par la culpabilité. Ce mélange explosif de traitement malsain des émotions réunit les trois frères dans une tension palpable pour le spectateur qui suit leurs élans tendres et agressifs et qui cherchent à savoir quel est le point culminant de cette histoire dont on ne devine que les contours flous. Le jeu des comédiens est saisissant par son authenticité, son intensité à fleur de peau et la manière qu’il a d’incarner des stéréotypes et de les rendre vrais, palpables. Ambroise est particulièrement touchant dans son mal-être profond, dans sa détresse refoulée et ses amours perdus. Surtout, les trois comédiens viennent nous chercher dans les entrailles car c’est le Québec qui se joue, là, sur scène, ce Québec que l’on aime et qui cherche sa voie, qui chercher tant bien que mal, qui a perdu des générations dans ses luttes d’identité et dans sa tendance à se dénigrer, à se rabaisser, à refouler. Carl incarne l’homme né pour un petit pain, fier de son labeur et de son mariage, repu de valeurs traditionnelles qui le poussent à blesser, et pourtant cette naïveté qu’il a de croire à son bonheur en devient touchante. Victor, emblème de l’éternel raté inconscient, l’homme du bois, le cœur tendre en fin de compte, qui regrette tant, qui est touchant lui aussi, par cette tendance maladive à vouloir tout corriger. Trois frères. Trois cœurs qui ont haït leur identité et qui le regrette ou pas. Amalgame touchant de cette société déchirée d’il y a pas si longtemps et de cette difficulté à communiquer qui rend tout plus dur. Un grand texte, bien rendu, simple, efficace. Et surtout, touchant. Critique de la pièce Enfant insignifiant! : J’ai eu le privilège d’assister à la représentation du 15 décembre 2017 du spectacle Enfant Insignifiant!, présenté au Théâtre Jean-Duceppe. Adaptation du texte de Michel Tremblay Conversation avec un enfant curieux, cette pièce a été mise en scène par Michel Poirier. On y retrouve la resplendissante Guylaine Tremblay dans le rôle de la mère de Michel Tremblay, Nana, et Henri Chassé dans le rôle du célèbre auteur. Plateau Mont-Royal, Année 50, religion, éducation, littérature, poupées à découper, bisbille familiale… Le narrateur y dépeint le milieu qui l’a vu naître et grandir, en plus de rendre un hommage vibrant à sa mère. Se replonger dans l’univers de Michel Tremblay est purement salvateur pour les âmes québécoises, pour les gens qui s’intéressent à cette culture jeune mais si riche et pour les anticonformistes de ce monde qui se rappellent avoir posé des questions de manière si assidue et insistante à leurs parents. Le texte peut sembler hermétique. Les références à la culture québécoise, certaines constructions langagières et les classiques historiques de ce petit pays enclavé dans le grand Canada peuvent donner l’impression que l’auteur décrit une microsociété et rien de plus. Or, ce serait ne pas s’attarder à la dimension universelle des mots portés par des protagonistes si colorés. Le contrôle exercé par le clergé, le refus de l’homosexualité, la difficulté de vivre en tant qu’artiste dans un monde comme le nôtre, un système d’éducation vendu aux puissants… tant d’idées auxquelles tant de nations se doivent encore de réfléchir, se doivent encore de combattre, se doivent encore de détruire. Bref, bien que la forme le rende peut-être moins accessible, toutes les idées fondatrices qui lui servent de base font de ce texte un écrit universel. Bien que la distribution de comédiens soit très convaincante, Guylaine Tremblay éblouit. Sa voix, sa gestuelle, ses expressions faciales… toutes les petites parcelles de son jeu rendent le personnage de Nana si réaliste, si nuancé, que l’on ne peut qu’applaudir la comédienne. Un charisme incroyable se dégage de cette femme qui irradie d’énergie et d’émotions fortes, d’un pôle à l’autre. Bref, mention à Guylaine Tremblay. Henri Chassé est également excellent. Malgré son âge, sa carrure d’homme, on comprend très bien être face à un enfant, rôle qu’il porte avec aisance. Ses intonations de voix, sa manière enfantine de discuter tous sujets sans s’embarrasser de normes sociales, son faciès toujours dans attente de la réponse tant désirée… le comédien a incarné le mélange de maturité curieuse et d’obéissance enfantine que Michel Tremblay a couché sur papier. Les deux rôles piliers de cette pièce ont offert la possibilité aux autres, plus secondaires, de se valoir et d’être nuancés malgré leurs brèves apparitions. Bref, une distribution toutes en couleurs et en nuances. Pour conclure, comme dans ce texte, je considère que la majorité de la place a été offerte aux mots et aux comédiens, choix que je trouve judicieux dans la mesure où l’univers de Michel Tremblay est encore très vivant dans l’imaginaire québécois. Merci de garder ce joyau de notre culture vivant, merci de redonner aux générations antérieures la parole, merci de préserver notre mémoire. Mille mercis. Gabrielle Chartrand, 17 ans Critique de la pièce Les secrets de la Petite Italie : Qu’est Montréal? Une ville riche de cultures, de musiques, de théâtre, une ville riche de vie et d’histoire. Ville dont plusieurs quartiers sont des emblèmes de peuples ici depuis longtemps établis, qui marient leur langue et leurs secrets à toi, ville chérie. Parlant de mystères, parlant de quartiers, Les secrets de la Petite Italie, pièce écrite par Steve Galluccio et mise en scène par Monique Duceppe, a été présentée au Théâtre Jean-Duceppe dernièrement. Savant mélange d’humour et de drame, cette représentation dresse le portrait d’une famille italienne aux prises de becs des plus divertissantes mais également aux tabous des plus tristement ignorés. Une cuisine, un salon, richement meublés, une porte que l’on n’aperçoit pas. Des meubles solides en bois, un panier plein d’oranges, une télé qui débite des âneries. Une lumière jaune, réconfortante. L’espace est occupé de manière intelligente bien que le décor soit statique. Alors que les répliques ardentes, piquantes, passionnées volent, les personnages bougent, se cherchent, se repoussent, amplifiant l’effet de leurs mots. Un véritable mouvement est créé par les comédiens. On sent le soin porté à la disposition dans l’espace, nécessaire vu le grand nombre de comédiens qui évoluent en même temps. Les protagonistes sont bien répartis, ils ont des poses qui n’attirent pas particulièrement l’attention sans pour autant dénoter un manque d’intérêt, ce qui permet de se concentrer sur la personne qui détient la parole sans pour autant enlever du réalisme à la pièce. Petite mention aux couleurs! Les personnages sont vêtus sobrement. Ivana entre, majestueuse, éclatante, immaculée, on sent automatiquement la séparation. Elle détonne, avant même de parler. Le jeu des couleurs est mûrement pensé, bien réussi. Le père de famille, le fils, sa femme princesse, la mère disparue, les deux vieilles amies, le grand-père que l’on n’écoute pas, la fille reniée. Quelle assemblée, tous des personnages différents mais qui partagent un sens du spectacle des plus relevés. Petite mention à Ivana, bien entendu! François-Xavier Dufour nous rend un personnage fort, résiliant, au sens de la répartie assez bien ancré mais qui est touchant par sa sensibilité, ses illusions perdues et son bonheur si durement marchandé. Quel protagoniste convaincant par son jeu physique qui amplifie sa désinvolture, qui secoue l’auditoire pendu à ses lèvres. Lèvres qui débitent d’une voix grave et sensuelle, aux légères tournures italiennes, l’histoire de cette famille honteuse. On est pris, on est charmé, on écoute et on ne se désintéresse plus. Que de charisme! Seconde mention au cher patriarche qui, de sa chaise roulante, a l’air d’un spectateur peu attentif, mais qui s’avère être la pièce maîtresse de toute l’histoire. On le trouve fou, on le juge sénile, mais quand il hausse la voix, il a toute l’autorité des pères de famille dans la force de l’âge. Il émeut par les horreurs qu’il a subies, il convainc par ses yeux larmoyants, il trouble par l’amour sincère qu’il porte, il en impose par cette petite phrase si puissante qu’il répète à n’en plus finir : « Un bon matin tu te réveilles, pis la vie telle que tu l’as connue existe plus! » Une famille qui vit dans la honte et le déni, une famille qui a choisi d’ignorer les bombes qu’elle a elle-même chargées, une famille emmurée dans ses illusions et ses mœurs qui commencent à dater. Dans cette pièce, l’humour sert le drame, car il le rend supportable et lui permet en quelque sorte de s’épanouir. Effectivement, la gradation rapide du côté dramatique de l’histoire est ponctuée de blagues, d’expressions faciales désopilantes et d’insultes originales. On y dresse le portrait très juste d’une famille dont chaque membre vit avec un poids et une blessure. On comprend la cruauté de mœurs trop rigides, on saisit l’ampleur de la place qu’occupe l’honneur dans des microsociétés dominées par les apparences et le pouvoir. La question qui obsède alors qu’on sort fort émotionnés de la salle : à quel point est-on prêt à sacrifier un humain et sa candeur pour préserver son honneur? Et puis, qu’est-ce que l’honneur? Bref, pièce géniale, qui touche un auditoire élargi, qui du point de vue de la forme et du fond est minutieusement montée et qui est distrayante, tout simplement! Gabrielle Chartrand, 17 ans