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Duceppe

Jeune critique : Fabienne Pilon, 16 ans

17 novembre 2017

Critique de la pièce Oslo

Un thriller politique au théâtre. Un thriller politique qui non seulement raconte une histoire invraisemblable et fascinante, mais qui en plus raconte une histoire vraie. Voilà ce que nous offre présentement le théâtre Jean-Duceppe avec ​Oslo​. Nous sommes en 1993, à Oslo, en Norvège. Là, un sociologue a décidé d’établir un dialogue entre des palestiniens et des israéliens... et pas n’importe lesquels! Le hic? Ce canal de communication doit absolument rester secret, au risque de mécontenter les citoyens des deux états, ainsi que les tout-puissants américains. De peine et de misère, malgré tout, les deux camps parviendront à se parler et cela mènera à la signature d’un accord de paix, chose qui six mois auparavant paraissait impossible. L’anecdote est improbable et pourtant totalement réelle. La clé de cette réussite? Une approche plus humaine dans les négociations, qui a poussé les représentants des deux camps à se considérer non pas comme deux entités, deux nations différentes, mais bien comme des êtres humains, comme des semblables. Oslo​ est donc une ode au dialogue et à l’espoir, ode rendue mille fois plus puissante par sa véracité. Et la pièce est bien réussie. Malgré le sujet pouvant faire sourciller, le texte est plein d’humour, pas lourd pour un sou. Les diverses péripéties sont emballantes et nous tiennent fascinés, en attente de la suite. Le spectacle atteint un bel équilibre entre la participation active du spectateur (c’est-à-dire qu’il n’est pas question de décrocher si l’on veut suivre l’intrigue!) et le divertissement réellement plaisant. La musique jouée en direct sur scène rajoute une jolie touche. La mise en scène, elle aussi, est intelligente. On notera surtout le plancher du plateau scindé en deux couleurs différentes, et l’utilisation de cette frontière pour marquer diverses altercations et réconciliations. Un seul bémol en mon sens : la troupe peut-être pas encore tout à fait rodée lorsque j’ai vu la pièce. On sentait parfois le texte leur échapper, les dialogues ralentir, les intonations hésiter... Mais peut-être s’agissait-il simplement d’une moins bonne soirée, et malgré tout, nous ne pouvons que mentionner la performance admirable de Jean-François Casabonne en Shimon Peres (le ministre des affaires étrangères de l’État d’Israël à l’époque). En somme, ​Oslo​ est une pièce d’une grande pertinence qui ne manquera pas, à la sortie du théâtre, de susciter réflexions et discussions. Même si l’accord d’Oslo ne tient plus aujourd’hui, l’histoire de sa création est un galvanisant message d’espoir, une invitation à se demander : « et si? »

Critique de la pièce Le bizarre incident du chien pendant la nuit :

Il y a deux ans, dans le cadre d’un cours, j’ai lu Le bizarre incident du chien pendant la nuit. Pour une (trop rare) fois, cette lecture obligatoire s’est avérée fascinante. J’ai aimé chaque détail du livre, jusqu’aux numéros des chapitres (qui suivent l’ordre des nombres premiers plutôt que la progression unitaire habituelle). J’anticipais donc avec joie l’adaptation théâtrale du roman sur la scène de DUCEPPE. J’en reviens, et me déclare comblée. J’avais lu et adoré le livre. J’ai vu et adoré la pièce. L’histoire met en vedette Christopher, un adolescent asperger de quinze ans, trois mois et deux jours. Après avoir retrouvé Wellington, le bien aimé chien de la voisine, assassiné dans la cour, Christopher décide de mener l’enquête pour retrouver le meurtrier. Ce faisant, il découvrira nombre choses insoupçonnées, autant sur lui-même que sur les gens qui l’entourent. Mark Haddon, l’auteur du roman, a travaillé plusieurs années avec des personnes autistes. Le livre nous invitait donc au coeur même de l’univers bien particulier de Christopher. Hugo Bélanger, le metteur en scène, a pris le même parti. Pendant deux heures et vingt-cinq minutes, j’ai été à nouveau cette enfant qui aime qu’on lui lise des histoires, assise sur le bout de mon siège, les yeux écarquillés. Pendant deux heures et vingt-cinq minutes, j’ai adhéré complètement à la vision du monde de Christopher. Cette immersion totale dans l’histoire est due en partie à la formidable mise en scène d’Hugo Bélanger. Pleine d’inventivité, elle rappelle à certains égards le travail de Robert Lepage. Mention toute spéciale aux projections vidéo de Lionel Arnould qui viennent illustrer les pensées de Christopher. D’une grande beauté, elles ont provoqué chez moi quelques frissons. On ne peut non plus passer sous silence la performance extraordinaire de Sébastien René dans le rôle de Christopher. Il est bluffant, méconnaissable. Sur scène, on voit absolument un garçon asperger de quinze ans, il n’y a pas trace de l’acteur. Chaque intonation, chaque geste, est absolument juste. Il frôle la perfection. Les applaudissements nourris et les cris à chaque apparition sur scène lors des saluts en témoignent. L’adaptation théâtrale, comme le roman, dépeint une sorte de rite de passage et se pose en ode au courage et au dépassement de soi. Toutefois, cette conclusion est plus frappante dans le roman. Ainsi, peut-être la pièce présente-t-elle un intérêt maximal lorsque l’on a lu le livre avant de la voir. Dans tous les cas, véritable célébration de la différence, Le bizarre incident du chien pendant la nuit est teinté d’une tendresse contagieuse. Difficile de passer un mauvais moment devant un spectacle de ce calibre. Fabienne Pilon, 16 ans

Critique de la pièce Le Chemin des Passes-Dangereuses

C’est une morbide réunion de famille qui se joue ces temps-ci au théâtre Duceppe. Une réunion de famille où trois frères se verront forcés d’aller bien plus loin que les banalités que l’on échange par convention - par peur du silence - pour revenir enfin sur leur enfance. Une réunion de famille rendue onirique par une scénographie évasive, conçue sur plusieurs plans, et par l’utilisation de plusieurs médiums: musique, effets sonores, projection vidéo, voix hors-champ. Les barrières de la réalités sont ainsi flouées, haussant la tension dramatique d’un cran. L’utilisation, d’ailleurs, de cette voix hors-champ résonnante, dense, mystérieuse est particulièrement habile. Elle permet le déclic entre un début plein d’humour, quoique vaguement menaçant, et la montée dramatique de la fin, qui se rapproche du thriller. Cette même voix fera dire à celui qui m’accompagnait: « Mon coeur n’avait jamais battu aussi vite au théâtre. » Le texte de Michel-Marc Bouchard exploite délicieusement les possibilités des mots, jonglant entre les répétitions, les passages presque scandés, les phrases qui s’entrecoupent et se font écho... Il est porté avec intensité par les trois comédiens: Maxime Denommée, Félix-Antoine Duval et Alexandre Goyette... Ce dernier, surtout, est très juste, bien ​groundé​ et nuancé. Son personnage de grand frère un peu macho semble être interprété avec aisance. Bien que talentueux, les deux autres comédiens m’ont paru par moment manquer de nuances, adoptant un jeu plus mélodramatique et parfois un peu lourd. Malgré tout, je lève mon chapeau à la solidité de leur interprétation. Ils restent inébranlables, même à travers la crise de toux d’une vingtaine de minutes d’une spectatrice manifestement très enrhumée (c’est dans des moments comme ça que nous comprenons toute la profondeur de l’expression « spectacle vivant »...!) En somme, ​Le Chemin des Passes-Dangereuses ​est une pièce d’une grande puissance, du texte aux acteurs en passant par la superbe mise en scène de Martine Beaulne. C’est cet amalgame carrément parfait d’humour, de drame et de suspense qui séduit et rend l’intrigue si happante, les personnages si attachants. Une fois embarqué(e), on ne décroche pas une seconde et la finale est amplement à la hauteur des chemins pris pour s’y rendre. Finalement, cette pièce, qui parle de famille, d’un père et de trois frères pas si loin de l’adolescence, est extrêmement accessible, malgré les sujets parfois crus qu’elle aborde. Le théâtre Duceppe s’attaque à quelque chose de costaud... Et c’est très réussi. Le Chemin des Passes-Dangereuses​, écrit par Michel Marc Bouchard et mis en scène par Martine Beaulne. Au théâtre Duceppe jusqu’au 24 mars. Fabienne Pilon, 16 ans Critique de la pièce Enfant insignifiant! : L’on m’avait parlé de Michel Tremblay et de son style bien à lui, de son talent, de son impact sur la littérature québécoise. J’avais des attentes. J’ai été renversée par Enfant insignifiant! (Présentée au Théâtre DUCEPPE jusqu’au 3 février 2018.) Tout ce qu’on aime du style de Tremblay se retrouve dans cette nouvelle création (qui est en fait une adaptation théâtrale de son roman Conversations avec un enfant curieux ): les nombreuses tranches de vie, les personnages féminins grands et complexes, l'omniprésente tendresse... La pièce brosse un portrait personnel et juste du Québec à l’aube de la révolution tranquille, et nous, spectateurs dans la salle, passons du rire aux larmes, puis des larmes au rire encore, avec une aisance déconcertante. L’histoire (formée d’une succession de courts tableaux anecdotiques) nous parle de l’enfance de Michel Tremblay et comme un clin d’œil, nous demande d’imaginer, de croire, de se prendre au jeu. Cet Henri Chassé campant le jeune Michel, par exemple: aucunement déguisé, il réussit pourtant à nous faire croire dur comme fer à son personnage d’une dizaine d’années, grâce à son jeu et au texte très naturel. Ce personnage d’enfant bourré de questions lui va à merveille. Notre imagination est aussi sollicitée au niveau de la mise en scène: on nous propose un décor minimaliste et peu d’accessoires, mais grâce aux éclairages habilement utilisés, aux comédiens très solides et très justes, au texte extraordinaire, nous voyons tout: la maison familiale grouillante de monde, l’austère salle de classe, le magasin de décorations, la précieuse radio de Nana (Guylaine Tremblay est, évidemment, formidable dans ce rôle de mère)... À la sortie de la salle, on se demande un peu comment une pièce si proche de nos quotidiens a pu nous accrocher autant. Une partie de la réponse se trouve dans la question: on reconnait un peu de nos vies à chaque seconde du spectacle, de nos vies d’aujourd’hui même si ce n’est pas l’époque évoquée, de nos vies mais vues d’un œil tendre, d’un œil qui aime. Cela fait changement, et c’est très agréable. L’autre partie de la réponse se trouve dans les personnages, si réalistes et attachants qu’ils nous happent, qu’on y croit, qu’on se retrouve en eux. Et pour ce qui est du rapport à l’époque, il faut dire que certains thèmes, comme l’enfance, la famille, la religion et la mort de la mère de Bambi, ne se démodent pas. Le seul bémol à ce chef-d’œuvre me semble être la grande finale un peu mélodramatique, qui contraste drôlement avec le minimalisme teintant l’ensemble de la pièce. Heureusement, l’avant-dernière scène, franchement magnifique, rattrape le tout, et on sort de la salle serein(e), avec l’impression que tout a été dit. Bref, par cette nouvelle création qui touche au sublime, Michel Tremblay nous prouve une fois de plus sa virtuosité. Michel Poirier fait lui aussi un travail fantastique au niveau de la mise en scène. La distribution est irréprochable, tous les tableaux s’emboitent parfaitement, on rit, on pleure, on aime. En somme, Enfant insignifiant! est une pièce bonbon, pour les yeux et le coeur. Enfant insignifiant! , au Théâtre DUCEPPE jusqu’au 3 février 2018. Fabienne Pilon, 16 ans

Critique de la pièce Les secrets de la Petite Italie :

Je ne suis pas Italienne. Je ne suis pas une femme transgenre. Mais tout de même, j’ai trouvé la scène du Théâtre Jean-Duceppe bien peu diversifiée lors de la représentation de la pièce Les secrets de la petite Italie à laquelle j’ai assistée jeudi dernier. L’histoire, située dans l’appartement d’une famille de la Petite Italie, relate, entre autres, le parcours d’une femme transgenre. Le sujet, très actuel, semblait prometteur. Malheureusement, la pièce tombe rapidement dans la caricature. Les acteurs, pour la très grande majorité québécois, affectent un accent italien qui détonne un peu et ne fait que nous distraire de l’action. Les personnages, extrêmement typés, donnent peu dans la nuance, ce qui ajoute encore à l’effet caricatural et peu réaliste. On se demande alors si la pièce se veut une exagération, mais les subtilités du texte et de certains personnages jurent avec cette possibilité. Nous nageons un peu entre deux eaux. Les choses se corsent lorsque Ivana, le personnage principal, entre en scène. Qui joue ce beau grand rôle féminin? Nul autre que François-Xavier Dufour... L’idée de faire jouer une femme transgenre par un homme travesti me heurte, car elle ne fait que renforcer la confusion qui règne souvent quant à la différence entre drag queens, travestis et transgenres. Les deux premiers sont des hommes costumés, des arts de la scène et du déguisement. La dernière est une femme. Une femme transgenre ne parle pas forcément avec une voix grave, n’a pas forcément de très larges épaules. Une femme transgenre est, ultimement, une femme... On prend donc la décision de faire interpréter par un homme un rôle féminin. Pourquoi? Je sais bien que le théâtre laisse souvent place à des interprétations artistiques qui jouent avec le genre, chose que j’apprécie d’habitude, sauf que dans ce cas-ci, le choix d’un interprète masculin entretient un stéréotype et une idée fausse sur les femmes trans, et je trouve cela dommage. Je ne sais pas si une transgenre, si un Italien, seraient sortis insultés ou déçus du Théâtre Jean-Duceppe. Je sais toutefois que le choix qui a été fait d’imiter plutôt que de jouer vraiment m’a déçue et troublée. Cette pièce offrait une belle occasion d’encourager la diversité et la parité sur les scènes québécoise. Le coup est manqué. Ceci dit, la pièce est loin d’être inintéressante. Les acteurs, une fois que nous sommes habitués à leur exubérance, sont très bons, et parfois aussi très drôles. Michel Dumont nous émeut dans son très juste personnage de grand-père au vécu difficile, souffrant d’Alzheimer. D’ailleurs, la tendre relation entre son personnage et Ivana, sa petite fille, est bien établie, très tendre. François-Xavier Dufour aussi, il faut l’admettre, relève avec brio le défi qu’a dû représenter son personnage. Ivana, malgré tout, fait preuve d’une grâce et d’une sensibilité très féminines. De plus, on perçoit dans chaque geste, dans chaque intonation, la douleur qu’elle porte. La construction du personnage est cohérente. Mentionnons finalement la trame de la pièce, qui vaut le détour malgré un certain désordre dans les premières minutes. L’arrivée d’Ivana dans l’appartement familial (mention spéciale au décor classique et chaleureux, franchement réussi) donne le coup d’envoi à la réelle construction de l’histoire, qui se développe en un drame doux-amer réaliste et poignant. Le parallèle entre les guerres vécues par le grand-père et par Ivana laisse place à une réflexion intéressante qui nous habite encore à la sortie de la pièce, et la conclusion doucement fataliste est amenée d’une manière toute naturelle, très satisfaisante. En somme, malgré quelques failles et quelques choix questionnables, le Théâtre Jean-Duceppe fait un beau pari en présentant Les secrets de la Petite Italie . La pièce nous force à réfléchir au concept de la famille et à notre impact sur le bonheur d’autrui, tout en exposant doucement la réalité d’une transgenre. Toutefois, il manque peut-être une petite touche de nuances, de réalisme et de dénuement pour que, vraiment, l’histoire nous accroche et nous bouleverse. La surabondance d’informations et le ton caricatural font de la pièce un divertissement intéressant, mais pas encore un chef-d’oeuvre... Fabienne Pilon, 16 ans