Programme Royal

JEAN-SIMON Salut Virginie, au moment de t’écrire, la première de Royal est dans trois semaines. Comment tu te sens?

VIRGINIE Je dirais que je suis traversée par un mélange d'émotions… fébrilité, excitation, vertige. Cette collaboration marque ma première expérience en tant que co-metteuse en scène au théâtre, et je vis cette expérience avec beaucoup d'humilité et de reconnaissance.

JEAN-SIMON Ce que j’aime le plus dans mon travail, c’est de créer des rencontres. La rencontre entre nos deux univers, nos deux langages. La rencontre avec cette troupe de dix interprètes, si généreuse, investie et talentueuse. La rencontre avec les conceptions et les multiples possibilités de raconter Royal. Je trouve qu’on a construit un beau terrain de jeu. J’adore quand le théâtre devient sportif. Quand l’interprète s’investit physiquement sur la scène. Comment décrirais-tu ta première incursion à la mise en scène d’une pièce de théâtre?

VIRGINIE Comme devant tout nouveau changement, j’ai eu besoin d’un temps d’adaptation pour trouver mon angle d’attaque. Mais une fois ce vertige passé, à travers le prisme de notre précieuse collaboration, je suis arrivée à traduire des mots en gestes et à donner vie à des thèmes à travers des séquences dansées. Ce moment crucial du processus m'a permis de confirmer le rôle du corps dans la narration théâtrale, affirmant ainsi sa participation à la compréhension de l'histoire. Cette première incursion à la mise en scène d'une pièce de théâtre, où les gestes dansés se mêlent aux mots, a parfois été un casse-tête, mais dans l'ensemble, elle a été incroyablement stimulante.

JEAN-SIMON Tu mets le doigt sur le moment où nos univers, nos langages, se sont rencontrés. Je me rappelle nos premières discussions. On se questionnait sur la manière de traduire pour la scène les émotions ressenties au moment de la lecture de Royal. Comment traduire cet état-là? Ce qui me touche dans le roman de Jean-Philippe, c’est la soif des personnages, surtout d’Arnaud, de réussir. Je me reconnais là-dedans. Je suis mauvais perdant. Si j'entreprends quelque chose, je veux être le meilleur. Je me sens tout nu de t’avouer ça. Et toi, c’est quoi ton rapport à la performance ?

VIRGINIE Mon rapport à la performance est ancré dans une quête de qualité et de rigueur. Par moments, mon désir de perfectionnement peut glisser vers de l'acharnement, voire vers de l'obsession, mais j'ai appris à lâcher prise avec le temps pour préserver mon équilibre mental! Évoluant dans un environnement où les opportunités et les ressources sont limitées, je suis consciente que l'esprit de compétition est toujours latent en arrière-plan. Alors moi aussi, je me suis reconnue à travers l’ambition maladive du personnage.

JEAN-SIMON Avant de terminer cette courte correspondance, je veux te dire à quel point c’est un bonheur de travailler avec toi. Tu es une grande artiste et j’admire tellement ta créativité.

VIRGINIE Et moi je veux te faire une déclaration de reconnaissance pour m’avoir invitée à collaborer avec toi. Tu es un artiste et un humain formidable.

VIRGINIE et JEAN-SIMON Et à vous qui êtes dans la salle, laissez-vous porter par l’énergie contagieuse de cette vibrante troupe. Merci à toute l’équipe du spectacle pour la passion et à toute l’équipe de Duceppe pour le soutien.

Quand le doigt pointe la lune, l’imbécile regarde le doigt.

Il y a une trame de surface dans tout ce que j’écris, un univers qui se résume bien, et qui aide à établir un premier contact avec le lectorat ou le public: Royal parle de course au stage, de grands cabinets de droit, et ça attire peut-être l’oeil parce qu’on a entendu des histoires sur le sujet. On cherche les clés, on potine peut-être, ça amuse. On s’imagine que j’ai des comptes à régler avec les avocat·es, peut-être, ou que je les méprise.

C’est un leurre, un leurre que je passe beaucoup de temps à peaufiner, comme une mouche à pêche tissée à la main: même si j’ai fait de la recherche pour que cette histoire d’avocat·es soit factuellement correcte à 99,9% (je me suis trompé dans le roman sur l’existence d’une équipe de volleyball au collège Durocher, mea culpa), l’intérêt réel de l’histoire, pour moi, est caché loin sous les couches d’arcane du droit, et peut parler à un public beaucoup plus large que ceux et celles qui ont obsédé·es sur leurs notes parce qu’ils et elles rêvaient d’un poste chez Norton ou Fasken ou Lavery.

L’intérêt réel de l’histoire, pour moi, c’est la question de ce qu'on est prêt·e à faire, et à se faire, pour réussir, peu importe la forme que cette réussite prend.

C’est ce qui m’a mené, moi, un gars qui a étudié en théâtre, dans une école où on accepte trente étudiant·es pour en garder dix après une année, à m'intéresser au monde du droit des affaires, alors que je ne détiens même pas un crédit universitaire. Si ça me parle à moi, ça risque de vous parler aussi—à moins que vous ayez la chance de ne jamais vous être fait ne serait-ce qu’un peu violence pour réussir ce que vous avez entrepris.

Jean-Philippe Baril Guérard

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